L’épreuve de vaillance est terminée, et avec elle sont arrivés bon nombre de blessés à des degrés très inquiétant pour la plupart. D’habitude je dois m’occuper de beaucoup de patients à la fois qui ont besoin de soins rudimentaires et très ponctuels. Cependant, avec ces récents évènements, mon nombre de personnes à traiter à été réduit car la quantité de soin à prodiguer a augmenté.

Me voilà donc en train de me diriger vers l’une des ces personnes fortement blessée. Sur un grand plateau en bois, j’ai disposé le matériel nécessaire comme les bandages, onguents et pommades pour panser les blessures, et quelques instruments permettant d’analyser son état. Mais j’ai également apporté du matériel plus situationnel, comme des onigiri au cas où elle se réveillerait.

J’entre dans cette chambre privatisée, et ma patiente semble avoir repris conscience ! Une petite chaleur se manifeste dans ma poitrine. Bien qu’elle ne soit pas encore guérie, le plus dur est passé. Je m’approche pour poser le plateau sur une table à côté du lit tout en lui répondant.

« Bonjour, c’est un plaisir de vous voir réveillée Madame.
En effet c’est principalement moi qui me suis occupée de vos blessures. »

Seulement principalement car à son arrivée, c’est un travail d’équipe qui s’est mis en place pour la traiter et ce sous la direction d’un aîné plus expérimenté vu l'état de la patiente. Mais il est peu productif d’expliquer à quel point une blessure était importante, du moins pas tant que la personne n’est pas bien avancée sur le chemin de la guérison, je ne m'étends donc pas là dessus.
En ce qui concerne le temps passé depuis l’épreuve de vaillance, je réfléchis un instant.

« Hummm ... vous êtes arrivée il y a à peu prêt dix heures, donc avec le trajet … Il y a un jour je pense, hier du coup. »

Je commence à préparer les bandages tout en écoutant ses questions qui s’enchaînent très vite.

« Ils sont tous sortis d'affaire, ne vous inquiétez pas. »

Comme je fais partie du groupe assigné à cette patiente, je ne connais que peu de détails concernant les autres blessés. Tous ceux qui sont arrivés de l’épreuve étaient dans un sale état, toutefois plus personne n’est en danger de mort une fois que la prise en charge a été effectuée.
La prochaine question est plus sensible que les autres, je m’arrête de toucher à la table pour me tourner complètement vers elle.

« Concernant les visites, bien sûr que vous pourrez, mais seulement quand vous et la personne que vous souhaitez visiter serez en meilleure forme. »

Puis, je continue en faisant une petite courbette.

« Je vous prie de privilégier votre guérison, surtout qu'elle est en excellente voie. Très souvent, se précipiter dans ces conditions ne fait qu’aggraver la situation. »

Des patients qui chutent dans les escaliers, qui perdent connaissance et tombent par terre, qui se rouvrent des plaies avec des mouvements trop brusques … La liste est malheureusement très longue.

Je désigne le plateau remplis de matériel et explique ce que je viens faire. Elle a retrouvé ses esprits, il est donc important de lui expliquer et de ne pas la surprendre. Et puis, même si elle a retrouvé ses esprits il reste du travail à faire, et il faut faire attention à surveiller les symptômes et tout potentiel changement .

« Je viens pour prendre soin de vous ... Euuuuh pas que je ne veuille pas discuter avec vous, il n'y a pas de problèmes, euh mais ça sera plus agréable quand vos pansements seront changés et que les contrôles seront passés. ... Ahem, dites-moi, comment vous sentez-vous ? »

La délicatesse et l'art des mots n'étant pas mon fort, une gaffe est une nouvelle fois arrivée. J'essaye de faire oublier cette maladresse en embrayant directement sur la vérification de son état, mais même moi je sens que c'était maladroit.

Lorsque la jeune femme s’excuse et s’incline, j’agite les bras en signe de refus.

« Ce n’est rien ! Ce n’est rien, pas besoin de vous incliner ne vous en faites pas ! »

En plus de raviver ses blessures, il n’y a vraiment pas de quoi s’excuser ou remercier. Au dela du fait que cela fait partie de mon travail, je l’ai soignée parce que je l’ai voulu, et savoir qu’elle va mieux est ma seule récompense. Toutefois, je pourrais essayer de la mettre en garde contre les dangers pour éviter qu’elle se retrouve dans pareille situation à l’avenir, mais je ne le ferais pas. Déjà parce que je ne comprends pas encore l’importance de ces épreuves. Peut-être que si je le savais mieux, j’aurais fais comme elle et j’aurais fini tout autant blessée, voire certainement plus. Aussi, je n’aime pas donner des leçons. Je sais si peu de choses, je ne suis qu’une recrue.

Je reprends aussitôt mes gestes plus calme. La routine aide beaucoup, elle permet de répéter certains mouvements ou certaines attitudes sans avoir à y réfléchir. J’aime cet hôpital et les vies que l’on y préservent, aussi je pense que c’est l’un des endroit où je suis le plus à l’aise. Et rassurante, je l’espère, j’essaye en tout cas. Sauf exception des situations d’urgences, le travail ici a un côté relaxant. Même s’il y en a beaucoup, ça c’est sûr.

La patiente hoche la tête en signe d’accord lorsque je désigne le plateau. Elle pouffe de rire mais ne s’attarde pas davantage sur ma gaffe et m’explique ses symptômes. Je rougis un peu tout de même, et me concentre sur le travail. C’est vrai que sa plaie à l’abdomen était très moche, cela laissera une cicatrice. J’observe les blessures avant de commencer à changer les pansements les moins graves. Tout en ce faisant, je secoue la tête et lui répond.

« Ne vous tracassez pas, vous allez guérir très vite. Après tout vous êtes revenue à vous plus rapidement que la normale. Et de ce que vous me dites et de ce que je vois, aucune complication en vue. C’est une très bonne chose ! »

La rougeur passée, un petit sourire se dessine sur mon visage. Pas d’infection ou de quelconque autre imprévu qui pourrait entraver sa guérison. Je commence à retirer les pansements. Les plus petites blessures ne suintent déjà plus. J’applique l’onguent avec le plus de douceur possible, même si la partie délicate sera le ventre. Je ne suis pas connue pour ma douceur, mais je dose comme il faut pour ne pas faire souffrir le patient. Au début j’avais commis cette erreur par mégarde et j’ai failli me prendre un retour de mandale dans la tronche. Je n'avais pas fais exprès, mais depuis je suis très précautionneuse sur ce point bizarrement ...

La jeune femme se présente alors. Je suis rassurée qu’elle le fasse, car moi et les noms c’est toujours compliqué. Je me force à le répéter dans mon esprit plusieurs fois. Hayate Kyoka. Officier de contre-espionnage … Officier ?! Je m’arrête d’un coup dans mes mouvements tandis qu’un coup de chaud me gagne. Une nouvelle fois, je n'étais pas loin de l’incident diplomatique. Je lui ai peut-être parler trop franchement ? Après ça n’a pas l’air de lui avoir posé problème … Non mais quand même, il faut que je fasse plus attention.

Après quelques longues secondes de blanc et d’immobilité, je recule pour effectuer une grande courbette. Puis me présente en me relevant.

«  Je suis Togame Chiyo, recrue euuuh bah d’ici forcément ahahah. »

Je me gratte la tête et la regarde en fuyant le contact direct avec ses yeux.

« J’espère que mon manque de formalisme ne vous a pas dérangé Madame Hayate. »

Si tel est le cas, je me prépare à effectuer une autre courbette d’excuse. Toujours est-il que j’attends sa réponse avant de m’approcher à nouveau pour continuer à m’occuper de ses blessures.

Je regarde une nouvelle fois sa blessure à l’abdomen, sans pour autant y toucher tout de suite. Ce n’est pas la première blessure du genre que je vois ici. Beaucoup d’hommes se font entailler de la sorte. Beaucoup d’hommes … je cligne des yeux plusieurs fois. Puis, je la regarde cette fois-ci dans les yeux.

« En revanche Madame je dois vous mettre en garde. Au vu de cette blessure, je vous déconseille fortement de porter un enfant avant au moins un petit temps. »

Même si la blessure sera guérie et qu’elle pourra même retourner au combat et réaliser tous les mouvements qu’elle veut, sa cicatrice doit se transformer en peau extensible pour accueillir comme il se doit un enfant. Et ce processus prend plus de temps qu’une simple guérison. Et puis dans le doute, même si elle serait complètement guérie, on n’est jamais assez prudent.

Mon côté docteur vient de parler tandis que je me rends compte du nouveau manque de tact que je viens de faire. Je rougis en me rendant compte des implications et me retourne vers mon plateau pour essayer de cacher ça.

Madame Hayate m’explique qu’elle sépare sa position d’officier avec le reste de sa vie lorsqu’elle le peut, me faisant comprendre qu’elle ne veut pas plus de formalisme que les autres. Je suis rassurée d’entendre cela, et éprouve un respect grandissant pour cette dame. Bon nombre de gradés ont les chevilles qui enflent malgré eux. Elle, au contraire, garde toute son humilité. J’ai tout de même du mal à simplement faire abstraction de sa position, mais je ne suis plus aussi crispée qu’à l’instant.

« Je vois … je pense comprendre. Dans ce cas, je vais reprendre vos soins sans plus attendre "Madame la Shinigami". »

Je n’ai jamais été douée en humour, mais j’essaye de tout mon possible de renvoyer la balle et la faire sentir bien. Pour autant, je ne peux pas décoller les honorifiques lorsque je l’interpelle. Ce n’est pas parce qu’elle est officière, enfin peut-être que je suis influencée malgré moi, c’est surtout que je parle ainsi à n’importe qui. A vrai dire, je dois vraiment me mettre à réfléchir et passer en revue tout ceux que je connais, pour ne trouver au final qu’une poignée de proches avec qui j’ai laissé tombé les « Monsieur » et les « Madame ».

Je continue donc le traitement, et en analysant la blessure au ventre je mets en garde la patiente des risques liée à une grossesse. Aussitôt expliqué, je me rends compte de mon manque de diplomatie et me tourne vers le plateau. N’osant pas regarder son visage, j’entends simplement sa réponse. Elle a l’air très gênée, en témoigne ses pauses au milieu de ses phrases. Je ne trouve pas d’échappatoire, je ne peux que m’enfoncer et essayer péniblement de dissiper le malaise. Ouvrant un vocal de crème pour commencer à traiter les quelques éraflures superficielles, je marmonne.

« Non ah … euh … je ne voulais rien sous-entendre de la sorte … C’était euh ... à titre informatif ! »

Alors que je patauge, ma patiente me répond. J’en perd le récipient de crème que je tenais dans la main. Il chute de quelques centimètres et cause un certain fracas avec le plateau en bois. En agitant mes bras pour essayer d’arrêter ce boucan, j’en cause encore plus en faisant bouger tous les objets du plateau.

« Q-q-q-quoi ? Noooooon, bien sûr que non. Je n’ai pas le temps de penser à de de … de telles romantismes voyons ! »

Mon imagination travaille immédiatement malgré moi. Un homme et une femme … Un clin d’œil, des épaules qui s’effleurent, des mains qui s’unissent. Grrblblbl. Comment puis-je penser à de telles choses ?! J’ai soudainement très chaud. Mon plateau ne m’offre pas la stabilité dont j’ai besoin, je commence à tourner les talons et me diriger vers la fenêtre.

« Il … il fait un peu chaud, que diriez-vous que j’ouvre la fenêtre ? Un peu d’air frais vous fera certainement un grand bien ! »

Sans vraiment attendre sa réponse, je suis déjà en train de régler le mécanisme pour l’ouvrir. L’air frais entre avec une senteur de printemps. L’herbe, les fleurs, la fraîcheur … un doux mélange très calmant. Dehors, quelques fourmis s’activent à s’occuper de blessés. La journée reste calme, très peu d’urgences et très peu d’affluences de patients. Un papillon aux couleurs vives vient se poser sur le rebords de la fenêtre. Je laisse échapper quelques mots doucement.

« Rien à voir avec nos papillons ... »

Je me retourne vers Hayate Kyoka, beaucoup plus calme après avoir pu observer ce paysage si familier et rassurant.

« Veuillez m’excusez pour ça, j’arrête de tourner autour du pot. Je vais m’occuper de votre blessure. »

Me retroussant les manches, l’esprit plus apaisé, je me redirige vers le lit. Sans m’en rendre compte, je tenais absolument à m’occuper de ses petites blessures avant. Alors que c’est bien celle du ventre qui doit la faire souffrir le plus. Il faut que je me ressaisisse et que j’offre le meilleur traitement possible. La raison pour laquelle j’ai traîné, c’est que cela va être douloureux, peu importe la douceur que j’y mettrais. Même si c’est pour un bien, l’idée de faire souffrir quelqu’un m’est difficile. Avec un regard plus neutre, j’explique et attend son accord avant de m’exécuter.

« Cela va piquer, je vais faire au plus vite. Essayez de ne pas bouger, d’accord ? »

Kyoka se montre compréhensive et ne s’oppose pas à ce que j’ouvre la fenêtre, heureusement parce que mon mouvement était déjà en cours d’exécution. Je prends le temps de me calmer, avant de me convaincre de s’attaquer à sa blessure la plus importante. Je la préviens et demande son accord, sachant que la manipulation sera douloureuse. Même si je ne suis pas surprise qu’elle ne se plaigne ou ne s’y oppose pas, je ne m’attendais pas à ce qu’elle se décrive comme habituée à la douleur.  J’ai beau savoir que faire partie de l’Armée Invisible est une tâche difficile à bien des niveaux, j’ai encore du mal à en accepter toutes ses réalités. Je hoche la tête silencieusement, ne trouvant pas de mots à lui répondre.

Cependant, elle enchaîne avec une remarque plus légère. Une demande de discussion, d’histoires sur ma vie ou d’histoires tout court. Je ne pense pas être intéressante, mais je ne peux refuser une telle demande alors qu’elle a fait preuve d’énormément de bienveillance envers moi. Et surtout si cela l’aide.

« Bien sûr ! Laissez-moi réfléchir un instant ... »

Tout en repassant ma courte vie en revue ainsi que les diverses rumeurs et autres anecdotes, je prépare les compresses stériles et les bandages. J’élimine les souvenirs négatifs difficile autant pour moi que pour les autres à entendre, je cherche quelque chose d’intéressant avant de me rendre compte que le choix est très restreint.

« Ma vie n’est pas très palpitante, mais j’espère qu’elle vous aidera malgré tout. »

Je commence tout doucement à retirer les anciens tissus, je suis très concentrée sur ce que je suis en train de faire. En conséquence, je fais parfois des pauses en plein milieu de mes phrases, et parle sans filtre.

« Cela fait quelques mois que je travaille ici. L’hôpital est mon lieu principal de vie à vrai dire. J’y passe beaucoup de temps, entre les soins, les apprentissages médicaux, et l’entraînement à la nécromancie ... »

La blessure suinte légèrement, mais par rapport à ce qu’on aurait pu s’attendre c’est très peu. Une bonne nouvelle de plus donc. La plaie a été recousue et a été traité par différents sorts. Et maintenant, elle commence même à se régénérer d’elle-même. J’essuie le plus délicatement possible la plaie et passe avec avec un chiffon d’alcool pour bien nettoyer. Je continue de parler avant de l’appliquer car je sais que ce moment n’est pas agréable.

« J’ai appris énormément de choses ici. Je me suis même intéressée à ces pilules dopantes. Ce sont de véritables petits bijoux d’artisanat et de médecine ! Le début de l’apprentissage est très bien documenté, et n’importe qui pourrait en apprendre autant à condition d’y mettre du temps. »

Je prends une petite pause le temps d’observer que la blessure a bien été nettoyée, avant de prendre en main les baumes à appliquer.

«  En revanche, plus on avance dans ce domaine, plus la documentation est rare. Je dois avouer que j’étais bloquée. Mais grâce aux épreuves, j’ai pu constaté que la Panacée comptait des experts en tout genre. Et notamment une utilisatrice de ces drogues qui a perfectionné cette technique à son paroxysme. »

Je n’arrive pas encore à croire que Sagara Kameko ait accepté de me donner conseil, et de me consacrer un peu de son temps précieux. Mais je ne peux pas me perdre dans mes pensées. Rester concentrée sur mes gestes est capital. Continuant à appliquer les produits, je prends de quoi refaire le pansement avec les matériaux que j’ai préalablement préparé.

« J’espère un jour pouvoir arriver à sa cheville. Mais pour le moment, je m’entraîne le plus possible sans négliger mes autres apprentissages ou mes devoirs d’infirmière ici ou en mission. »

Alors que je bande son ventre, toujours en étant très attentive à ce que je fais, je laisse échapper quelques mots sans filtre.

« Eeeehh ... je m’en doutais … Ma vie ne tient même pas le temps d’un pansement. »

Serrant comme il faut le tout, je souris un peu gênée. Puis, je songe à une alternative au cas où elle n’ait pas trouvé cela très intéressant.

« J’espère que cela vous a aidé …
Si vous voulez continuer à vous changer les idées, n’hésitez pas si vous avez des questions. Ou alors vous pourriez peut-être me parler de vous ? »

Tandis que je suis légèrement déçue que ma vie soit aussi courte à raconter, je ne peux m’empêcher d’en faire la remarque à haute voix et Kyoka pouffe alors de rire. A moins que ce soit car je viens de serrer son bandage plus fort que nécessaire ? J’ai pourtant l’impression d’y avoir mis la bonne quantité de force. Ça doit donc bien être ce que j’ai dis. Même si c’est un peu gênant, c’est une bonne chose de la voir se détendre.

Pourtant malgré ce moment léger, elle enchaîne avec des questions assez lourdes. Certaines très précises, d’autres plus large mais le tout m’amène à devoir y réfléchir. Je ne termine pas son pansement tout de suite afin d’éviter de faire une bêtise en n’étant pas concentrée sur mes gestes.
Je sais que ma réflexion se traduit sur mon visage alors que je prends un certain temps pour répondre.

« Je vois ce que vous voulez dire … enfin je crois. »

Je pose mon menton dans une main en continuant à structurer ma réponse.

« Je vais répondre dans le désordre. En fait, j’ai promis que je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour sauver les autres. C’est devenu mon objectif. Le rêve inatteignable qui s’y rapporte serait de pouvoir sauver tout le monde … mais je sais que c’est impossible. »

Une mine morne apparaît sur mon visage. Petit à petit, je vais arriver à accepter cette réalité qu’Accord m’a apprise. J’essaye quand même de ne pas trop me laisser miner le moral par cette partie de ma réponse, et enchaîne avec la suite.

« Je dois avouer que me tourner vers la médecine m’a paru une évidence. Une attirance naturelle. Et depuis, j’en explore un peu tous les domaines et essaye de m’améliorer du mieux possible. »

Je retire ma main de mon visage et pointe l’index vers Kyoka.

« Et là je vais vous rejoindre. Je suis arrivée à la conclusion il y a peu qu’il existe bien d’autres moyens de sauver les autres. Prendre les coups à leur place, faire disparaître la menace, déjouer une embuscade ou même récupérer des informations vitales. »

Je ponctue d’un petit sourire et commence à reprendre les soins maintenant qu’il n’y a plus besoin d’autant me concentrer, le reste de mes paroles est instinctif.

« Je doute pouvoir être douée dans tous les domaines, mais c’est en cherchant à augmenter mes horizons que je suis en train d’organiser pour passer du temps dans les autres divisions. Cela me permettra de trouver mon ou mes autres domaines de prédilection, en plus d’acquérir des bases plus variées. »

Toutefois, il y a une de ses questions à laquelle je n’ai pas encore répondu. Mon sourire disparaît. Mon intuition me dit qu’elle ne l’a pas posée par hasard.

« Sinon ... Oui, j’ai peur de mourir ou de laisser mourir un camarade par mon manque de compétence. Oui, j’ai peur d’être un fardeau pour mon équipe et de les mettre en danger.
Et à ce propos, je me suis très souvent dis que c’est parce que je suis une recrue, une débutante dans pleins de domaines, et que quand je m’améliorais, ces craintes diminueront ... »

Je m’arrête dans mes gestes, parce que j’ai définitivement finis ce pansement au ventre, mais aussi parce que je la regarde dans les yeux à présent.

«  … mais je me suis peut-être fourvoyée.
Dites-moi si je me trompe mais, vous avez l’air d’avoir ces mêmes peurs malgré vos compétences bien supérieures aux miennes. »

Je sais que ce n’est peut-être pas la meilleur idée de lui retourner sa question, je ne veux pas la troubler ou la déranger. Mais, je sais aussi que l’hôpital est un lieu bien singulier. Les patients dans un état plus faible voient parfois toutes sortes de questions et de craintes non habituelles remonter.

« Est-ce que vous voudriez me parler de vos peurs ? De vos rêves ? »

Mine de rien, avoir pu me confier à Accord m’avait fait un très grand bien. Et à nouveau, parler à Kyoka est rassurant. Elle s’intéresse, elle m’écoute, elle pose des questions pertinentes. Ce qui semblait être une demande anodine de sa part a fini par me faire parler d’absolument tout. En un sens, elle lui ressemble un peu, c’est facile de se confier à elle. Alors, la moindre des choses que je puisse faire, c’est lui présenter une oreille attentive en retour.

Elle écoute attentivement ma réponse. Lorsque j’arrive proche de la conclusion, elle soupire. C’est bien ce qu’il me semblait, je n’avais pas besoin de lui retourner la question. C’est bien une crainte que l'on partage toutes les deux. Et vu la tournure de sa phrase, c’est plutôt même une peur qui touche tout le monde.

Elle poursuit et m’explique brièvement ses capacités au combat, et elle semble dure avec elle-même. Une remarque me vient en tête, mais elle semble lancée pour raconter d’autres choses. J’écoute donc attentivement sans l’interrompre.

Son rêve est la prochaine chose qu’elle partage. Je suis impressionnée. Un rêve qui paraît si simple, et pourtant plus on y réfléchit et plus il est difficile à obtenir. Kyoka en est consciente, c’est comme si elle avait lu mon raisonnement dans mes yeux avant que je ne dise quoi que ce soit.

Elle me confie alors son second rêve tout en me montrant une bague. J’observe et essaye de me souvenir de ce nom, mais il ne me dit vraiment rien. Je procède par déduction plutôt que par mémoire. Au vu de ce qu’elle me dit, c’était probablement l’ancien capitaine de la Troisième Division. J'en conclus qu'il a très probablement disparu lors de la Journée Sanglante. C’était il y a si peu de temps, et pourtant j’étais même pas encore Shinigami. Je hoche la tête doucement.

« Au vu de comment vous … comment tu es dure avec toi-même, et d’à quel point tu fais tout ton possible pour réaliser ces rêves, je suis sûre que tu t’en montre digne. »

Je pointe la bague du doigt sans la toucher.

« S’il te l’a légué, c’est que tu en étais déjà digne à ce moment là. »

Secouant les poings en signe d’encouragement je poursuis.

« Je trouve tes rêves et tes résolutions magnifiques. Et contrairement à ce que tu dis, je les trouve bien plus grands que le mien. Il est vrai que le premier n’est pas réaliste … pour l’instant ! Peut-être que dans le futur on arrivera à l’atteindre. C’est aussi pour ça qu’on travaille, pour un futur meilleur. »

Un futur où la crainte de perdre un être cher ne serait plus aussi répandue, plus aussi omniprésente et brutale. Où l’on pourrait vivre avec ses proches en paix, où l’on aurait besoin de sauver personne. Je pense sincèrement que c’est un rêve beaucoup plus grand et beau que le mien. Kyoka a beau précisé qu’elle met ses proches au dessus du reste, c’est quelque chose que je comprends parfaitement maintenant.

Continuant à remonter dans ce qu’elle a dit, je pose mes mains sur mes cuisses.

« En attendant, j’espère que quand je pourrais plus souvent aller en mission, je pourrais veiller sur tes arrières. Et si tu veilles sur les miennes, je te ferais totalement confiance, en toi et en ta spécialité ... Madame La Shinigami. »

Tout en ponctuant d’un pouce en l’air mes mots. Atteindre la perfection est impossible, alors on tente le plus possible de s’en approcher. On est déçue de constater à quel point on en est encore loin. Je vois ce qu’elle veut dire, mais après mes explications un peu déprimante j’ai trouvé naturel de partager un peu d’enthousiasme. Surtout qu'il a été crée spontanément par le partage de ses rêves.

Je regarde ensuite mon pouce levé avec un regard interrogateur …
Mince. Le travail. J’ai fini le bandage depuis un bon moment et je me suis laissée emportée dans la conversation. Ça ne m'arrive pas souvent. Rougissant un peu je me lève brusquement et me tourne vers mon plateau. J’en prends les boules de riz emballées que j’avais pensé à amener.

« Raah mais j’oubliais … Comme tu es réveillée tu peux manger ça si tu veux. Il y en a une à le prune amère, et l’autre au saumon. »

Je lui présentais les boules sur le plat de mes mains. Comme Kyoka est bien réveillée elle doit sûrement avoir faim. J’aurai du lui proposer plus tôt mais au final j’ai été absorbée dans la conversation. Et du coup, maintenant, je le propose sans crier gare. Toute ma subtilité a été dépensée dans notre échange précédent, je soupire.

« Désolée c’était un peu brusque, je ne voulais pas te couper alors que tu partageais des choses qui te tiennent à cœur. Je me soudain rappelée que j’en avais pris au cas où tu serais réveillée. »

Je souris un petit peu malgré la nouvelle maladresse commise.

«  Je peux rester encore un peu si tu veux. J’ai finis tes bandages et tes soins, mais si tu as encore envie de parler ou des questions, je t’en prie. Ah et si tu as particulièrement mal, je peux te faire un message médical. Ça aide beaucoup pour les crampes et la rééducation de certains muscles. »

Tandis que j’encourage Kyoka et lui partage mon avis sur ses rêves, je vois qu’elle se met à pleurer. J’ai peur d’avoir fais une bêtise, d’avoir peut-être réveillé d’anciennes blessures ou d’avoir dis quelque chose de déplacé. Mais son sourire revient, et elle me remercie. Je suis surprise. C’est très rare que l’on me remercie, et d’autant plus avec une telle intensité. Un remerciement qui n’a rien à voir avec une politesse, c'est un remerciement qui vient du cœur. Je lui souris en retour, contente d’avoir pu l’aider à ma façon.

Naturellement, j’en viens à souhaiter pouvoir l’aider d’autres façons. Ou plutôt, à ce que nous puissions nous entraider, en ayant en tête les missions. Et Kyoka ne refuse pas ! Cela me fait plaisir, savoir que je pourrais combattre à ses côtés un jour. Cependant, ses mots sont extrêmement solennels et cela me met une certaine pression. Elle dit que j’aurais sa vie entre mes mains. Je regarde mes petites mains un instant. Je ne les qualifierais pas d’expertes, mais je travaille avec ardeur pour espérer pouvoir les qualifier ainsi un jour.  

Mais la réalité me rappelle à l’ordre. Il y d’autres patients à soigner, et d’autres entraînements journalier à effectuer. Un peu maladroitement je lui propose à manger et lui explique pouvoir rester seulement encore un petit peu si elle en a besoin.

Malgré son statut de patient, elle n’en profite pas pour demander plus d’attention pour autant. D’un côté je m’en veux un petit peu d’avoir coupé court à notre conversation, ce n’est pas comme si j’allais la revoir tous les jours ou que nous pourrons prendre le temps de parler à cœur ouvert facilement. Mais d’un autre côté, il y a d’autres patients qui attendent de recevoir des soins. Je ne peux pas les ignorer. J’effectue une grande courbette.

« Non mais de rien et euh- tu ne m’embête pas du tout !! C’est plutôt moi qui devrait te remercier pour ta compréhension ! Mais dans ce cas je vais te laisser te reposer. Si jamais tu as besoin de quoi que ce soit, tire sur la ficelle pour faire sonner la clochette. Je ferais mon possible pour venir vite. »

Je range mon plateau et commence à m’en aller. Une fois à la porte, je me retourne.

« Repose-toi bien Kyoka ! Si jamais on ne se voit plus d’ici que tu sortes, au revoir et à la prochaine ! Je ferais en sorte de me rapprocher du titre "d’experte" d’ici notre prochaine rencontre. »

Je fais signe avec les quelques doigts qui n’ont pas besoin de soutenir le plateau, avant de sortir et refermer doucement la porte derrière moi. Même si ce n’est pas pour ça que je fais ce métier, faire ce genre de rencontre est une bénédiction. J’espère pouvoir la revoir bientôt, enfin, de préférence pas à l’hôpital. J’ai beau bien aimer cet endroit je n’ai pas envie qu’elle se blesse à nouveau.
… Mais avant cela, je dois continuer à m’entraîner, et j’ai des patients qui m’attendent !