RIP Aika

Un ciel aux teintes grisâtres que celui du jour où les nouvelles de la mort d’une Lieutenante de Division sonnèrent le glas au sein de la Soul Society. Les têtes étaient basses ce jour-là, les mœurs au plus bas, tout autant que les foules se dirigeant toutes au même endroit, celui de la cérémonie accordée à la défunte pour lui offrir le repos éternel. Un bon élément disparu au combat, mais comblé par d’autres nouvelles plus rassurantes pour l’avenir du Nihon et de l’équilibre à préserver comme le retour des Expéditions qui se fit malgré la difficulté de ces dernières… Enfin, Ryo n’en avait entendu que les rumeurs et les sons de cloche, ne s’étant alors aventuré lui, que dans les terres des Premiers-Nés pour rendre un dernier baroud d’honneur aux Zanpakutos sauvages devenus des tiges de métal rouillées.

Pas après pas, faisant claquer ses Getas sur le sol, Ryo s’avançait vers le lieu de la cérémonie. Loin d’être seul, il eut passé la journée, la veille de l’annonce de cette cérémonie à aller chasser le plus gros Sanglier qu’il eut trouvé pour l’apporter, embroché sur une longue branche en bois qui reposât sur son épaule tandis qu’il s’approchait de la fonde grandissante et accueillie pour l’événement.

Au loin et autour du Zanpakuto de la défunte, se trouvait un Officier dont Ryo n’en reconnut pas la tête et longea rapidement la file du public, assise en seiza pour cette occasion particulière.

Rendre hommage aux morts, un devoir que Ryo pratiquait à sa manière, que ce fut en tant que Shinigami de la Yonbantai, où même du temps de son vivant, lors de la guerre qui avait prise tant de vies humaines dans le feu de l’action. Ici aussi, et malgré la puissance des Shinigamis, de toute leur bravoure pour assurer leur position et tels des piliers, agir dans l’intérêt commun, perdaient eux aussi la vie au combat un jour ou l’autre.



Le Ronin se plaça à une place où le public, l’assemblée en entière put le voir et alluma littéralement un feu à une vingtaine de mètres de l’autel, plantant le Sanglier qu’il fit réchauffer, s’asseyant selon ses propres convenances, c’est-à-dire de manière confortable et à l’opposé diamétral des rigueurs tenues par le monde présent. Bouteille de saké apportée spécialement d’Hokkaido pour cette unique occasion, le Marche-Faille ne connaissait ni de vue, ni de nom cette Officier tombée au combat. Pourtant, l’œil du Marimo était plus sérieux que jamais, tandis qu’il découpait au sabre un morceau, puis un autre de ce gibier abattu en l’honneur de la défunte.

Le gradé prononçait des mots, absorbé par nombre de maux, bien assez pour que le Ronin l’entende de là où il assistait au rituel traditionnel. A peine eut-t-il terminé pour reprendre sa place, et laisser la scène aux Choristes et à la Prêtresse, que Ryo se leva, avant la danse et le chant, buvant une grande gorgée de saké et une cuisse entière de Sanglier dans l’autre main. Silencieux, respectant les traditions et le travail fourni pour offrir une cérémonie digne de ce nom à l’Officier partie trop tôt, Ryo devança sans un mot la rangée de Shinigamis, dont celui qui s'exprima plus tôt et s’asseye devant le Zanpakuto.

Avant que quiconque ne pense à arrêter celui que l’on pouvait facilement traiter d’ivrogne, ce dernier prit la parole, déposant son offrande à sa manière. A gauche, la cuisse de Sanglier chassé, et à droite le saké que Ryo partagea, en buvant un verre et vida sa part sur le sabre veuf de sa maîtresse.



- - Fukutaicho-san… pour une âme partie au combat, pour défendre les vies dont elle avait la charge. J’ai pas eu le plaisir de partager un verre directement avec toi, ça se fera dans l’autre monde, acceptes cette rasade d’adieu et reposes en paix.

Le reste de saké vidé sur le sabre dont le lien avec sa propriétaire restait éternel, Ryo engloutissait la viande de Sanglier, comme pour honorer la défunte en partageant avec elle le plaisir des choses simples et le quotidien qu’elle eut défendue de sa vie avant de se lever.

Faisant de nouveau claquer ses getas sur le parquet en bois de l’autel, les pas de Ryo le mena jusqu’au premier à s’être exprimé avec tristesse. D’une main qu’il posa rapidement sur son épaule, il sortit une seconde bouteille de saké qu’il lui tendit, non sans le gratifier d’un regard.

- J’la connaissais pas, mais j’peux dire que tes mots l’ont surement rendu fière de toi. T’as l’droit de pleurer pour elle, mais restes fort et lèves la tête, fais le pour ce qu’elle a défendu d’sa vie.

Quelques pas supplémentaires, laissant les artistes commencer leur danse et chant, Ryo se retourna, jetant un dernier regard à l’autel, puis aux proches de la combattante, partie au combat à jamais.

- Mes respects, pour les proches !

Le combat ne s’arrêtait pas là, et était loin d’être terminé. Une vie perdue au combat pour en défendre d’autres. Là où le pilier meurt, il laisse passer la lumière, qui éclaire comme elle, autrefois, les jeunes pousses grandissantes qui prirent un jour le relais pour un combat que le temps ne peut effacer. Ryo quant à lui, allait de l’avant. Devenir fort, accomplir ses propres idéaux, telle était sa volonté inflexible.

Il quitta alors l'endroit, se replongeant dans le temps présent.

RIP Aika

La vie humaine, si éphémère, si courte nous rappelait parfois à des sentiments plus basiques, primaires, refoulés par le poids des responsabilités que l’on pouvait porter. Rester de marbre devant la disparition d’un être cher ? Retenir ses larmes et ses sentiments pour la défunte ? Définitivement non. Sa propre cérémonie terminée, un hommage sincère rendu à la Lieutenante défunte, Ryo se trouva nez à nez avec le premier Officier à avoir prononcé un discours poignant. Des mots emplis de tristesse, d’une peine et d’un sentiment de culpabilité marqué au point de taper dans l’unique œil valide du Ronin qui s’était avancé jusqu’à cet homme pour lui présenter ses respects et quelques mots pour lui-même.

Mais cette même vie n’était pas si simple, et parfois bien éloignée des standards qu’entretenait le Borgne, élevé en autodidacte aux fonds des Forêts, au plus proche de la nature. Pourtant, le concept de mort était quelque chose qu’il eut instinctivement saisi et respecté, à sa manière. Ainsi, une vie offerte pour accompagner l’autre dans son voyage, sur le long fleuve menant au repos éternel, un dernier hommage que le Shinigami avait eu à cœur de tenir malgré les apparences qui le caractérisait comme un ivrogne, un sauvage, un « connard ».

Son œil se reporta sur un Officier au regard bien sombre, ce qui le fit reculer d’un pas. Le Ryo que ceux qui avaient l’habitude de côtoyer pouvaient le deviner, entendre ruminer quelqu’un qu’il ne connaissait pas, ne l’intéressait pas le moins du Monde. Porté sur le présent, sur le vivant et sur l’instant présent, le Marche-Faille avait une sainte horreur des ruminants, des chialeurs et autres sentimentaux qui ne savaient pas même, du haut d’un grade indiquant dans cette société qu’il fuyait, des responsabilités, un poids devant être honoré malgré tout, se retenir de débiter des âneries plus grosses qu’elles.

Mais, aujourd’hui, et bien que l’envie lui prît plus d’une fois de décoller une volée de baffes dans les joues rougies de cet individu, Ryo était neutre face à l’insulte de sa propre personne. Son regard toisait celui de son interlocuteur qui semblait vider un sac aussi grand que les profondeurs océaniques. Quelque part, il le ressentait en étant l’interlocuteur direct de cet Officier. Oui, cette blessure béante qui n’avait pas eu le temps de cicatriser, et dont la fureur rouvrait toute cette souffrance accumulée en cet être.

Aujourd’hui, il fallait garder le dos droit, et les épaules relevées, ne serait-ce que pour toutes ces personnes qui eurent perdu une proche, et une camarade de combat de valeur. A ce moment précis, l’impétuosité de Ryo laissa place à une forme de sagesse qu’il ne montrait que dans des cas sérieux comme ceux-là. La sagesse se résumait parfois à peu de choses, rester droit et encaisser un nombre impressionnant d’offenses pour un hommage rendu, pour conserver l’unité de ces gens qui les regardaient, c’était aussi ça, faire preuve de force dans l’adversité.

Esquissant un léger sourire, le Marche-Faille ravisa son premier geste un instant, gardant ce présent dans sa main droite. Bah, plus de saké pour la route.



- J’comprends rien à ton dernier charabia mais salut ouais, à la prochaine ! Mes respects.

Riant sans excès, fidèle à lui-même et ayant eu sa propre utilité en tant que Punching-Ball émotionnel, c’est d’une manière indifférente que le Marche-Faille détacha son regard, ayant déjà réalisé ses hommages à la défunte, et un soupçon de décompression par la parole pour ce brave Shinigami.

Il en fallait plus que ça pour faire gâcher une cérémonie officielle au Borgne, respectant la vie et la mort comme il se devait. Une rasade de saké pour la route et ça repart traquer du poisson pour le dîner !

RIP Aika

Libéré ! Déliv… MERDE ! A peine le Ronin eut-il le temps de quitter magistralement et d’une manière digne des plus grand films la scène, qu’une autre personne, inconnue au bataillon en tout cas pour Ryo lui fila le train, jusqu’à le rattraper et l’interpeller. N’y avait-t-il aucune place pour la diversité culturelle, au point de devoir se justifier auprès de toute la Soul Society pour une offrande et une rasade de saké versé sur un Zanpakuto veuf ? Bientôt un laisser-passer A38 pour emprunter les toilettes d’un Bar en plein territoire de cette Division.

Soupirant, à juste titre mais pas assez fortement pour le laisser entendre à celui qui l’eut rattrapé, Ryo se retourna et posa son œil valide sur celui encore valide d’un compatriote Borgne. Barbu, armé d’un sabre et allant droit au but, il avait de la gueule, assez pour taper à l’œil du Ronin, qui se retourna pour lui faire face alors qu’il se présentait sans dégager d’ondes hostiles dans le timbre de sa voix. En tous les cas, et après une seule phrase de cet intervenant inattendu, Ryo arqua le sourcil un quart de secondes, repensant au dialecte soigné de Koto, qu’il retrouvait quasiment à l’identique chez cet Homme, un Noble donc.

- C’est bien moi. Qu’puis-je faire pour ton service camarade Borgne ?

Formalités, langage soutenu ? Des mots qui pouvaient être consommés comme des carrés de chocolat certainement… Ryo était lui-même du bout de l’orteil sublimé par des Getas traditionnels jusqu’à l’épi de sa chevelure approximative. La seconde arquée de sourcil vint lorsque le Barbu lui demanda si les coutumes et les usages de leur Division lui parlaient. Ce à quoi le Marche-Faille répondit, sans même un détour et alors que la présence en tête à tête avec un Officier pouvait en intimider certains.

- J’en sais rien. Comme tu peux l’voir, ma maison et mon école, c’sont les années que j’ai passé à m’battre, à voyager et à découvrir l’Monde qu’on protège chaque jour.

Soupirant franchement à l’idée de devoir encore éviter un scandale pour un hommage rendu en tout bien, tout honneur du point de vue du Ronin, ce dernier prit un air plus sérieux, son regard en étant le parfait témoin, fixant franchement son interlocuteur, loin des convenances et des principes qui caractérisaient un mode de société, que Ryo n’appliquait qu’au strict minimum dans sa vie quotidienne.

- Tout c’que je peux te dire, c’est que c’matin, j’me suis senti touché par la mort d’une Shinigami qui s’est donnée à fond pour ces moments d’parlote qu’on peut s’permettre maintenant. Elle était forte, et j’la considère assez pour lui offrir mon respect, à ma façon.

Tournant les talons, pour abréger au plus vite un moment qui devrait être consacré à la défunte plutôt qu’à un conflit d’opinion et de convenances, de points de vues, Ryo termina avec ces quelques mots.



- L’hommage est rendu, si vous voulez ma tête pour ma différence d’manières, j’vous attends, mais demain. Aujourd’hui, c’est l’temps de faire honneur à c’que cette femme à défendu d’sa vie.

Faisant claquer ses Getas pour marquer son départ, Ryo marcha en direction du Soleil déjà bien levé. Libre à quiconque de faire ce que bon voulait de ces quelques mots.