Encore une fois, je mange la poussière en tombant lourdement au sol. Ce qui ressemble à de la neige par terre s’élève lentement, les particules se dispersant avant de disparaître pour toujours. J’agrippe fermement la terre, n’hésitant pas à déchirer sa surface de mes doigts afin de me relever, et de faire face au plus grand guerrier par-delà l’Univers. Parangon. Susciter son intérêt n’était pas difficile, après avoir passé autant de temps en convalescence il ne demandait qu’à pratiquer sa lance toute retrouvée sur quelque chose, quelqu’un. J’ai beau être un combattant frôlant l’élite du Seireitei, je ne fais pas le poids face à Amenemhet, je suis réduit à un simple sac de frappe.

Qu’est-ce que j’y gagnais à me faire coucher au sol à plusieurs reprises ? Mise à part la maîtrise des nouvelles capacités de mon Symbiote… La paix. Le repos d’un esprit torturé, les griffes du Vide ayant réalisé leur balafre dans mon coeur. J’esquive ce moment gênant avec Lhaabi, qui a sincèrement compatie pour la mort de Shikai. J’ignore les piques de Nhaari, qui s’attend à provoquer une réaction chez moi, peu importe laquelle tant que je m’exprime. Et Amenemhet… Nous n’avons parlé de Shikai qu’une seule et unique fois. Même si le Prophète n’avait pas gardé un bon souvenir du Tranche Cero, il m’a avoué qu’il n’était pas du genre à oublier quelqu’un capable de le blesser. Aussi insignifiante soit la blessure. Passé ce moment, les seuls sujets que nous abordions servaient à satisfaire la curiosité de Parangon, que ce soit à propos du Nihon, des nouveaux Capitaines, ou bien de celui qui l’avait infiniment déçu : Naraku.

Mon escapade dans les Cercles n’a pas été inutile, puisqu’il a permis aux jumelles Prophètes de faire remonter les informations aux autres, tandis qu’Amenemhet semblait satisfait à l’idée qu’il est à l’origine de tant de conversations dans les profondeurs du Nihon : autant craint que respecté, un but à atteindre, un être à surpassé. Pourtant, lorsqu’on lui fait la remarque qu’il a surtout suscité une plus grande méfiance de la part de nos opposants, rendant notre travail sur le Nihon plus difficile, il redouble encore plus de fierté. Un personnage assez unique… Une saison est passée, et j’ai croisé de loin d’autres Apôtres, protégés des jumelles ainsi que de Majesté que j’ai dû rencontrer lors de ma première visite dans la Forteresse Stellaire. Pas pour faire les présentations, mais surtout pour qu’on me mette un parasite dans la tête qui servirait notre mission une fois de retour au Nihon.

Exceptionnellement, je me promenais dans le palais d’Azur, laissant mon regard se perdre sur l’horizon désert, à perte de vue. Mes pas m’amenaient subtilement à une destination précise : une chambre vide, d’apparence anodine. Tout était en ordre dedans, comme s’il n’y avait jamais eu personne à l’intérieur. Je prenais la chaise et m’installais en face du lit, observant en silence. Des mois sont passés, et les échos de ta voix commencent déjà a être remplacés par ceux du Vide. Lorsque j’essaye de me rappeler des moments que nous avons passés ensemble, tes yeux sont couverts d’une tâche sombre, déchirure insupportable qui rend ton sourire encore plus éclatant. Les coudes posés sur mes genoux, je pose mes mains contre mon visage et je me recroqueville, une caparace se formant autour de moi. Si seulement j’avais été à tes côtés, j’aurais pu te sauver… J’aurais…

La douce et réconfortante dextre de Lhaabi se pose sur mon épaule. Un silence pèse dans la pièce, et je retire lentement mes mains de mes yeux. Je passe mes doigts sur ma barbe, laissant les idées sombres glisser contre ma peau, alors que je ne savais pas quoi dire. Je sais manipuler les autres, je sais dire les mots exacts pour me tirer de n’importe quelle situation compromettante. J’ai trompé les Exarchi, le Seireitei et j’ai échappé aux griffes des Stern Ritter. Pourtant, à ce moment précis, je ne pouvais tromper personne. Pas Lhaabi. Encore moins moi-même. La lèvre inférieure tremblante, je sens ma vue légèrement se brouiller, la larme à l’oeil flouant ma vision tandis que je mords mon doigt pour faire disparaître les tremblements. Sans y parvenir. Une larme perle le long de mon visage, entrant en contact avec mes lèvres, une pointe de sel se mélangeant à la goutte de sang qui échappait mon doigt, tandis que je fixais avec intensité ce lit vide. J’essayais de graver par-dessus l’image de mon frère, en vain. En silence, j’abandonne. Je laisse mon imagination s’éteindre, les souvenirs s’effacer, alors que je passe ma main sur mon visage pour ne pas pleurer davantage. Je vais bien. Non, je ne vais pas bien. Je ne peux plus continuer. Si, je dois poursuivre ma voie, même si je dois le faire seul.

C’est le prix à payer pour s’opposer aux dieux. Je n’ai plus rien à perdre, à présent.

Répondant à l’appel, je me retrouve une nouvelle fois aux pieds des marches titanesques menant jusqu’au trône de Majesté. L’impassibilité comme masque, je me propulse dans les airs pour traverser ce genre d’obstacle, atteignant en quelques secondes le sommet des escaliers pour ensuite passer entre les gigantesques gargouilles qui protègent la salle du trône. Rares sont les occasions d’apercevoir 3 Prophètes dans la même pièce, même si on peut considérer que Lhaabi et Nhaari ne font qu’un. Avant même de connaître les termes de cette réunion succincte, je vois Vengeance faire les cent pas devant nous. Je ne dis rien, restant un peu plus isolé comparé aux autres, alors que je reposais ma grande forme contre un des piliers de la salle.

Nhaari explique l’origine de sa frustration, tentant de fusiller du regard chacun d’entre nous. Elle n’est pas la première paire d’yeux capables de me tuer sur place que je croise, alors je me contente d’ignorer ses humeurs, soupirant légèrement. Ainsi nous y voilà, à devoir chasser un Apôtre. J’avais été prévenu du sort misérable qui nous attendait si on se montrait faible face aux voix du Vide, j’ai moi-même failli en faire les frais pendant l’attaque de Premier Succès. Même si j’ai le Symbiote sous contrôle pour le moment, tant qu’il n’aura pas totalement fusionné avec mon être jamais je ne devrais baisser ma garde. Cette saloperie est affamée, et elle n’hésitera pas à m’utiliser comme support pour satisfaire sa soif de destruction.

Le regard distrait, je laisse mes yeux observer les étoiles défiler autour de nous, la recherche de Majesté m’intriguant. Cette capacité à traverser l’Univers d’un simple regard… Mon oreille était toujours à l’écoute, et lorsque Lhaabi cita mon nom je retournais mon attention sur elle. Un regard marqué par la fatigue, une sombre lueur se nichant dans mes pupilles alors que j’acquiesçais à sa demande. Si un Apôtre a véritablement merdé sur le territoire des Stern Ritter, alors il valait mieux s’en occuper le plus rapidement possible. Cette porte dérobée sur cette planète nous sera certainement utile plus tard, et on ne veut pas qu’ils renforcent leurs défenses avant qu’on n'ait pu frapper un grand coup. Les questions de Rina me font soupirer, me poussant à me séparer de mon support pour me tenir droit et m’avancer vers le groupe. Mes yeux rubis observent les deux Shinigami à avoir rejoint nos rangs. Ils manquent d’expérience, de connaissances.

Quelles sont les raisons qui les ont poussés à devenir des Apôtres ? Je m’en contrefous. Tant que j’ai une bombe à retardement dans le corps, il vaut mieux ne pas s’attacher aux autres.



Mon regard croise celui de l’animal à visage humain, me forçant à soupirer. Est-ce que c’est à moi de tout expliquer et de prendre la tête de cette équipe ? Comme les Prophètes ne dégagent aucune énergie spirituelle, ce n’est pas difficile de sonder la puissance de mes camarades. Ils viennent à peine d’hériter de leur Symbiote, j’en viens même à me demander si cette mission ne sera pas trop dure pour eux. Mais bon, qui est-ce que je trompe alors que, même plus faible qu’eux, je me suis retrouvé dans des territoires bien plus hostiles ? J’ai déjà vu à quoi ressemble les Cercles, et le Havre des esprits. J’imagine qu’il me reste à voir à quoi ressemble un monde soumis aux Stern Ritter.


Je ne suis pas là pour prendre des pincettes, les Prophètes ont besoin qu’on règle leur problème et c’est exactement pour ça qu’on est là. Même si je m’attire potentiellement les foudres de la Violette, j’aimerais en finir rapidement avec cette mission. Plus vite j’en aurais fini ici, plus tôt je pourrais retourner au Nihon et continuer de gagner les faveurs du Seireitei. Et pourquoi pas mettre un coup de pied dans la fourmilière qu’est la guerre entre les humains.

Les lèvres scellées, j’adresse un regard à chacune des Prophètes qui insistaient sur le danger que pourrait représenter l’intervention d’un Stern Ritter. Bien qu’ils ne dégagent pas d’énergie spirituelle comme pourrait le faire un habitant du Nihon, le souvenir d’une pression contre laquelle il est difficile de s’opposer pique un coin de mon esprit… Serrant fermement le poing, j’étais frustré de ne pas être prêt à m’opposer aux enfants d’une déesse, malgré les efforts, malgré les sacrifices. Mais le temps viendra, je saurais être patient… Je ne gâcherai pas cette chance qu’ils m’ont offerte sans se rendre compte des conséquences que cela créerait, ironiquement.

Je redresse un peu plus le regard lorsque je vois les épaules de Vengeance se détendre légèrement, au contact de sa jumelle, alors qu’elle répondait avec une douceur qui ne cesse de m’interpeller lorsqu’elle s’adresse à moi. J’évite de faire des remarques à voix haute, surtout pendant une telle réunion, mais je ne suis pas dupe quant aux changements d’humeurs de la Violette. Lhaabi et Nhaari partagent le même Monde Intérieur, c’est comme si une seule âme se situait dans deux corps… En prolongement ce raisonnement, je ne suis pas étonné de l’influence que peut avoir une jumelle sur l’autre. Même si on dirait que ce soit ma Bienfaitrice qui laisse son contact stimuler sa soeur, là où Nhaari… préfère sûrement tenir en laisse certaines de ses pulsions. Difficile d’en être certain sans lui demander directement, ce qui pourrait donner lieu à une conversation intéressante… Si je compte une énième fois me mettre dans une situation délicate.

Une sensation étrange traverse mon corps alors qu’enfin l’équipe d’intervention va être déployée. Les consignes sont claires, et j’ai eu le minimum d’informations nécessaires sur notre cible. Chacun semble adresser un dernier mot à sa mentore, comme s’ils avaient besoin de se donner une raison pour revenir en vie. Je réponds aux regards de Lhaabi et de Nhaari, n’ayant pas vraiment les mots sur les lèvres pour accompagner tout ça. Cela fait longtemps que je mets ma propre tête dans la gueule du loup, et comme déjà dit dans mon serment en devenant Apôtre… Je n’ai pas peur de la mort. J’accomplirai cette mission, et celles qui suivront. Un jour je me tiendrais aux côtés des Jumelles, de Majesté et d’Amenemhet. Je serais le glas qui sonnera la Fin du Nihon.


Posant un pied à travers le portail, je sens un vent frais caresser ma peau alors que je me sens moins lourd… Mon pas est plus léger qu’à l’accoutumée. J’observe la lune brisée dans le ciel, voyant ses fragments éparpillés remplacer les étoiles, le tout maintenu dans une sinistre suspension. Ça me rappelle la faille présente dans le ciel du Nihon, à présent. Ce fracas dans ce ciel qui cachait une misère universelle latente. Enfilant le Gigai offert par les Prophètes, je sens mes capacités générales se réduire, mais pas au point de me rendre inutile. J’apprécie le fait d’avoir un visage différent, mes longs cheveux d’ébène remplacés par une coupe plus soignée et courte, mes traits se raffinant davantage pour correspondre à la moyenne locale. Une fois que l’équipe est prête et déguisée, j’annonce la couleur de la marche à suivre :


Pas besoin de poursuivre davantage sur ce qu’implique une telle chose, alors que je sors un flacon de ma poche et que j’en consomme son contenu. Le liquide de la SS-pill traverse ma gorge, éveillant davantage mes sens alors que je sens la bête en moi grogner, se manifestant à travers ma peau qui devient pâle et que des veinules noires se révèlent autour de mes yeux, une lueur sanglante brillant dans mes pupilles. Je me sens en contrôle de mes moyens, de cette déferlante d’instinct meurtrier qui cherche à m’influencer, mais je reste serein. Je sens néanmoins que cela a un impact sur ma seconde peau, et que je ne pourrais pas profiter de cette capacité longtemps sans endommager cette enveloppe… Mais la recherche progresse à grands pas, notre équipe arrivant rapidement à retrouver une piste alors que nous nous arrêtons à l’orée d’un village de bûcherons.

L’endroit empeste l’odeur du sang, à lire la réaction de Lunye à l’approche du village, tandis que j’arrive à ressentir la présence d’une vingtaine de personnes au centre du village. Nos oreilles captent brièvement des échos de pleurs… Tout porte à croire que nous suivons une bonne piste, mais avant de se précipiter, je tourne mon regard sanguin à l’attention des Apôtres.


Rina se joint à moi tandis que les deux autres Apôtres prennent une direction opposée. Longeant les limites du village et profitant des arbres pour masquer notre présence, en plus de mes capacités à dissimuler mon énergie spirituelle et du sceau Shijima posé sur la borgne, nous naviguons en silence tandis que je continue de sonder la Vie autour de nous, ainsi que la moindre énergie spirituelle qui puisse dénoter. Je doute que la sensorialité puisse être d’une grande aide dans cette mission, si on parle de retrouver un Apôtre qui s’est caché sous le nez des Enfants Nuits pendant tout ce temps… Mais je continue de chercher alors que j’entends Rina me poser une question assez personnelle. Afin de maintenir le sceau qui cache son énergie à elle, j’étais obligé de la garder dans mon champ de vision, mais pour répondre à sa question je lui adressais directement un regard, mon ton restant calme malgré mes grands yeux écarlates ouverts qui menaçaient de la dévorer sur place, le Symbiote réagissant au petit morceau de Vie encore rattachée à l’Apôtre, et sur lequel je n’avais pas totalement le contrôle sur cette expression sauvage.


Je sens quelque chose se fêler au niveau de mon visage, alors que je prends une grande inspiration pour rappeler la bête en moi et la confiner dans un coin, limitant son influence sur mon corps pour arrêter de mettre la pression sur mon Gigai. Lorsque je rouvre les yeux, je sens quelques légères fractures se disperser autour de mes yeux, ce qui de loin peut donner l’impression à des rides… Je soupire en décidant de continuer notre ronde tout en rassurant les potentielles questions de Rina.


Sur le chemin, alors que nous allons bientôt arriver au point culminant qui allait nous guider vers le centre du village pour passer à la prochaine étape, je m’assurais pour la première et dernière fois du degré d’engagement de ma partenaire de fortune :


Le poing serré, j’avance en direction du village. Il était temps de constater les dégâts de l’Apôtre défectueux, et d’aplanir le terrain pour que rien ne soit laissé après notre passage… Si ce n’est un village en cendres. Étrangement, je ne me sens pas tiraillé par le fait de m’en prendre à des innocents d’un autre monde, qui ne seront que des dommages collatéraux. Après tout, j’ai participé à la plus grosse attaque jamais connue sur le Seireitei, tout en facilitant la propagation d’une maladie spirituelle qui va sûrement condamner des milliers de Nihonjin. J’ai passé le stade de ressentir de la culpabilité.