Épisode n°5 : Ermitage
Épisode n°5 : Ermitage - Mar 16 Mar - 21:09
Ermitage
幽居
Un vent de mort souffle sur le village de Tamabahaki. Depuis six jours, comme le souhaite la tradition, les habitants s'habillent en noir et ne célèbrent pas la vie. Comment en serait-il autrement ? Demain, les funérailles de Nishina Rusu, la feue femme du chef du hameau Nishina Sadahiro, auront lieu. Ses proches préparent sans relâche l'évènement, dans la sueur et le sang, sans prendre de repos, car Rusu ne peut encore profiter du sien. Et pourtant, personne ne sait si son ascension se fera sans embûche. Les espoirs sont au rendez-vous, évidemment, mais il est difficile de garder la foi lorsque chaque soir, au zénith de la lune, des cris aigus d'outre-tombe viennent déranger le sommeil des Nihonjin. Et pour cause, depuis six jours, le village est possédé.
« Je vous en prie, guides des âmes, accordez-moi votre bienveillance. Vous nous avez aidé par le passé ; accompagnez ma femme pour l'arracher de notre monde. Elle ne mérite pas tant de cruauté. Notre humble hameau, et sa fidèle communauté, ne saurait résister davantage. »
Comme depuis six jours, Nishina Sadahiro prie les divinités mystiques du Nihon devant l'autel d'un kami de la nature. Une petite statuette, évoquant un grossier gobelin au long nez, trône sur la table, sur laquelle est déposée maintes richesses. Tous les habitants de Tamabahaki ont participé à l'effort de guerre pour constituer ce pactole, et ainsi convaincre les forces invisibles.
Des prières. Des pleurs. Un deuil insatiable. Chaque jour, la peine dévoile un nouveau fond de sa réserve déjà infinie, creusant la tombe des habitants meurtris par l'accident.
Le village de Tamabahaki n'a pas l'habitude de recevoir des étrangers, et pourtant, une silhouette humaine s'approche de ses portes. Un marchand sans possession ? Un voyageur sans compagnon de route ? Un ermite qui erre sans but ? L'étrange personnage, à la chevelure étincelante, jure avec l'ambiance morne du hameau, comme avec ce temps gris et pesant de cette partie de l'année. Les deux gardes à l'entrée le hèlent, la pointe de leur lance dressée en l'air ; alors, il se dévoile. Je me nomme Kaïjin, explique-t-il d'une voix solennelle, sans artifice, tandis qu'il courbe l'échine d'une révérence empreinte de respect. Je suis prêtre. Et j'ai entendu votre détresse.
Accusant la nouvelle, les deux gardes échangent un regard, puis, d'un commun accord tacite, l'un d'eux fuse vers l'enceinte du hameau pour prévenir leur garant. Il lui suffit d'une poignée de minutes pour que le chef apprenne l'existence de l'itinérant salvateur et, devant cette coïncidence qui ne saurait en être une, n'aille accueillir le guide des âmes tant attendu.
« Kaïjin !!! C'est bien cela, votre nom ? »
L'ermite dodeline de la tête, sans aucune expression sur son visage. Le chef du village, en bien des égards, semble avoir aspirer toute l'humanité de l'homme.
« Je vous en prie, aidez-nous ! »
Il s'écroule soudainement à genoux. L'excès de tension, accumulée durant ces six derniers jours, s'extirpe de son corps par tous les pores. Il peut enfin se libérer de son fardeau pour le confier au professionnel venant le sauver. Aucune question quant à son identité. Aucun devis quant au prix à payer. Seule l'urgente nécessité d'ôter ce poids de sa conscience anime le pauvre Sadahiro.
La sixième nuit s'abat sur le hameau. Une sixième nuit terrible – comme les précédentes. Pourtant, l'ermite ne bronche pas. En pleine place principale, là où ont été entendus les cris horrifiques de Nishina Rusu, le prêtre attend l'arrivée de l'âme en peine. Assis en tailleur, il laisse le vent de l'hiver frapper son visage, les arbres subissant le courroux d'une tempête lointaine pour projeter de sordides d'ombres ça et là. Son aisance, son calme, sa confiance, sont autant de témoins que de cas de possession résolus par ses mains. Une énième âme viciée, pour un énième drame du Nihon, dans une machinerie bien huilée qui ne rompra pas de sitôt.
Les yeux fermés, l'ermite tourne le dos à l'esprit tourmenteur. L'oreille tendue, son ouïe affûtée, il guette la moindre fluctuation dans la voie du vent pour se renseigner sur la présence. Mais cette méditation, cette concentration, s'avèrent vite être inutile : la lune atteint bientôt son zénith.
Une sombre aura s'élève depuis le sol, de concert avec des bourrasques croissantes. Ainsi, le vent ne venait pas d'une tempête lointaine, mais bien de l'âme viciée se rapprochant peu à peu de son horrible état de yōkai. Cette Chaîne de Karma, dont la seule existence est un crachat au visage de l'ermite, n'est plus qu'à quelques maillons de la fin. Alors, elle pourra se venger. Et causer le chaos dans son sillage. Servant les manigances des parasites du Nihon.
Le Saketsu (鎖結, Chaîne Contraignante) de l'Hanseisū (半整数, Demi-Entier) se brise d'un mouvement imperceptible. Une incroyable énergie se dégage soudain du trou laissé par le vide creusé, avalant le libre-arbitre de la maudite pour lui confier une force surhumaine. Frêle âme en peine, elle était ; abomination de griffes et de crocs, elle devient. La lune n'est plus son seul guide, son seul repère. À ses côtés, un ermite se relève. Jusqu'alors désarmé, le prêtre invoque une arme de nulle part : un katana on ne peut plus simple, au pommeau doté d'une étrange rune.
Le monstre fuse vers la plus grande bâtisse de Tamabahaki. Grillant les étapes d'une évolution raisonnée, la Mononoke percute son ancienne demeure dans une pluie de débris qui met fin aux attentes des habitants du village. Le prêtre aurait-il échoué ? Pour cette sixième nuit, davantage de cris retentissent. Mais pas ceux de la pauvre Nishina Rusu. Son mari lui vole la vedette, alors que ses tripes sortent de son ventre troué, une main griffue lui ayant aéré le corps. Dans les coulisses, le prêtre inspecte, contemple. Aucune excitation ne se cache dans son regard morne. Il assiste, neutre, objectif, au choix qu'il a soutenu. Celui de la vengeance. Celui de l'action. Celui qui prône la mort des impurs, et la vraie liberté que tout entité mérite : la mort.
Un premier innocent ose zieuter le spectacle, derrière sa porte trop fragile. Sans se retourner, l'abomination le perçoit, et le rajoute à sa liste. Tête après tête, les victimes s'accumulent, tandis que les chaumières se couchent comme des plants de riz. Soumise à ses instincts primitif, une femme tente de prendre la fuite, abandonnant ceux qu'elle estimait pour glaner de futiles années de souffrance mortelle. Mais l'arme de l'ermite fuse droit vers elle pour se loger dans son dos.
« Je vous en prie, guides des âmes, accordez-moi votre bienveillance. Vous nous avez aidé par le passé ; accompagnez ma femme pour l'arracher de notre monde. Elle ne mérite pas tant de cruauté. Notre humble hameau, et sa fidèle communauté, ne saurait résister davantage. »
Comme depuis six jours, Nishina Sadahiro prie les divinités mystiques du Nihon devant l'autel d'un kami de la nature. Une petite statuette, évoquant un grossier gobelin au long nez, trône sur la table, sur laquelle est déposée maintes richesses. Tous les habitants de Tamabahaki ont participé à l'effort de guerre pour constituer ce pactole, et ainsi convaincre les forces invisibles.
Des prières. Des pleurs. Un deuil insatiable. Chaque jour, la peine dévoile un nouveau fond de sa réserve déjà infinie, creusant la tombe des habitants meurtris par l'accident.
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Le village de Tamabahaki n'a pas l'habitude de recevoir des étrangers, et pourtant, une silhouette humaine s'approche de ses portes. Un marchand sans possession ? Un voyageur sans compagnon de route ? Un ermite qui erre sans but ? L'étrange personnage, à la chevelure étincelante, jure avec l'ambiance morne du hameau, comme avec ce temps gris et pesant de cette partie de l'année. Les deux gardes à l'entrée le hèlent, la pointe de leur lance dressée en l'air ; alors, il se dévoile. Je me nomme Kaïjin, explique-t-il d'une voix solennelle, sans artifice, tandis qu'il courbe l'échine d'une révérence empreinte de respect. Je suis prêtre. Et j'ai entendu votre détresse.
Accusant la nouvelle, les deux gardes échangent un regard, puis, d'un commun accord tacite, l'un d'eux fuse vers l'enceinte du hameau pour prévenir leur garant. Il lui suffit d'une poignée de minutes pour que le chef apprenne l'existence de l'itinérant salvateur et, devant cette coïncidence qui ne saurait en être une, n'aille accueillir le guide des âmes tant attendu.
« Kaïjin !!! C'est bien cela, votre nom ? »
L'ermite dodeline de la tête, sans aucune expression sur son visage. Le chef du village, en bien des égards, semble avoir aspirer toute l'humanité de l'homme.
« Je vous en prie, aidez-nous ! »
Il s'écroule soudainement à genoux. L'excès de tension, accumulée durant ces six derniers jours, s'extirpe de son corps par tous les pores. Il peut enfin se libérer de son fardeau pour le confier au professionnel venant le sauver. Aucune question quant à son identité. Aucun devis quant au prix à payer. Seule l'urgente nécessité d'ôter ce poids de sa conscience anime le pauvre Sadahiro.
⬩ ⬩ ⬩
La sixième nuit s'abat sur le hameau. Une sixième nuit terrible – comme les précédentes. Pourtant, l'ermite ne bronche pas. En pleine place principale, là où ont été entendus les cris horrifiques de Nishina Rusu, le prêtre attend l'arrivée de l'âme en peine. Assis en tailleur, il laisse le vent de l'hiver frapper son visage, les arbres subissant le courroux d'une tempête lointaine pour projeter de sordides d'ombres ça et là. Son aisance, son calme, sa confiance, sont autant de témoins que de cas de possession résolus par ses mains. Une énième âme viciée, pour un énième drame du Nihon, dans une machinerie bien huilée qui ne rompra pas de sitôt.
Quelle horrible nuit pour avoir une malédiction.
Les yeux fermés, l'ermite tourne le dos à l'esprit tourmenteur. L'oreille tendue, son ouïe affûtée, il guette la moindre fluctuation dans la voie du vent pour se renseigner sur la présence. Mais cette méditation, cette concentration, s'avèrent vite être inutile : la lune atteint bientôt son zénith.
DIABLE DE SADAHIRO, TRAÎTRE, FÉMINICIDE, JE NE TE PARDONNERAI JAMAIS ! J'ARRACHERAI LA TÊTE DE TOUS TES PRÊTRES, ET PUIS LA TIENNE !
Je ne vous veux aucun mal, esprit.
Vous... Vous me comprenez ? Comment... Comment est-ce possible ? Je suis... Et vous êtes...
Inutile de poser des mots sur ce que nous sommes. Vous avez souffert ; je peux vous libérer de votre malédiction. Répondez simplement à cette question.
À quel point haïssez-vous votre mari ?
Une sombre aura s'élève depuis le sol, de concert avec des bourrasques croissantes. Ainsi, le vent ne venait pas d'une tempête lointaine, mais bien de l'âme viciée se rapprochant peu à peu de son horrible état de yōkai. Cette Chaîne de Karma, dont la seule existence est un crachat au visage de l'ermite, n'est plus qu'à quelques maillons de la fin. Alors, elle pourra se venger. Et causer le chaos dans son sillage. Servant les manigances des parasites du Nihon.
Je vous donnerais tout ce que vous voulez pour me libérer de ces liens qui m'accablent. Laissez-moi lui tordre le cou, comme il l'a fait pour mettre fin à ma vie.
Je vous accorde ce vœu.
Le Saketsu (鎖結, Chaîne Contraignante) de l'Hanseisū (半整数, Demi-Entier) se brise d'un mouvement imperceptible. Une incroyable énergie se dégage soudain du trou laissé par le vide creusé, avalant le libre-arbitre de la maudite pour lui confier une force surhumaine. Frêle âme en peine, elle était ; abomination de griffes et de crocs, elle devient. La lune n'est plus son seul guide, son seul repère. À ses côtés, un ermite se relève. Jusqu'alors désarmé, le prêtre invoque une arme de nulle part : un katana on ne peut plus simple, au pommeau doté d'une étrange rune.
Vengez-vous, esprit. Je tâcherai de libérer votre âme de la torture qui l'attend éternellement, dès demain.
Le monstre fuse vers la plus grande bâtisse de Tamabahaki. Grillant les étapes d'une évolution raisonnée, la Mononoke percute son ancienne demeure dans une pluie de débris qui met fin aux attentes des habitants du village. Le prêtre aurait-il échoué ? Pour cette sixième nuit, davantage de cris retentissent. Mais pas ceux de la pauvre Nishina Rusu. Son mari lui vole la vedette, alors que ses tripes sortent de son ventre troué, une main griffue lui ayant aéré le corps. Dans les coulisses, le prêtre inspecte, contemple. Aucune excitation ne se cache dans son regard morne. Il assiste, neutre, objectif, au choix qu'il a soutenu. Celui de la vengeance. Celui de l'action. Celui qui prône la mort des impurs, et la vraie liberté que tout entité mérite : la mort.
Un premier innocent ose zieuter le spectacle, derrière sa porte trop fragile. Sans se retourner, l'abomination le perçoit, et le rajoute à sa liste. Tête après tête, les victimes s'accumulent, tandis que les chaumières se couchent comme des plants de riz. Soumise à ses instincts primitif, une femme tente de prendre la fuite, abandonnant ceux qu'elle estimait pour glaner de futiles années de souffrance mortelle. Mais l'arme de l'ermite fuse droit vers elle pour se loger dans son dos.
Venez à moi, passeurs d'âme. Il est temps d'accomplir votre véritable mission.
Grade : Mère-Nuit
Mère-Nuit
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