Une énième journée s'achevait pour l'ermite. Une énième ballade au rythme du quotidien des mortels, circulant sans relâche dans les rouages du destin. Plus que jamais, le passeur d'âme remettait en doute l'utilité de sa présence en ces lieux impies. Des milliers d'années avaient passé depuis son premier battement d'aile, et pourtant, son action était devenue caduque. Il pataugeait, las, entre les manigances de ses prochains, privé du libre-arbitre qu'on lui avait gracieusement donné, la sanction d'un faux pas trainant hélas non loin. À quoi bon ? Tout être conscient s'était déjà posé la question, lors d'une journée sombre où les fondations de son existence s'effondrent, incapables de résister face au débâcle. L'ermite avait déjà rassemblé mille raisons pour affronter cette vérité en face, mais il avait toujours réussi à repousser l'inévitable. Car son devoir était tout autre. Un être parfait ne pouvait se permettre de ruminer tels les humains qu'il surveille.

Pourtant, une partie de lui désirait davantage. Cette inaction avait usé de sa patience innée, au point de le guider sur une voie suicidaire. Celle des risques ; celle qui ouvre des chemins, et en ferme d'autres, pour autant de réalités possibles dans l'océan flou de l'avenir.


Il avait choisi la taverne du Kami d'Or pour s'émanciper de son cocon, dans la lointaine province de Miyazaki, sur la côte menant à l'archipel Satsunan, sur le versant sud-ouest. Un établissement modeste, tenu par des tenanciers modestes, dont la clientèle était principalement constituée de locaux désirant noyer leur ennui, et égayer leurs longues journées d'effort. Autant dire que la crinière étincelante du passeur d'âme paraissait comme un phare en pleine nuit, son visage étranger attirant toutes les œillades curieuses de la populace habituelle.

Mais, ce jour-ci, il n'était pas le seul étranger à avoir franchi le seuil du Kami d'Or. Un voyageur atypique avait déjà commandé à boire au comptoir, dont la seule aura interdisait les humains alentours de s'approcher de lui, et lui poser des questions compromettantes. Malheureusement, l'ermite n'était pas n'importe quel humain. Il osa dès lors s'installer à ses côtés, et demanda au tavernier la même chose qu'avait commandé le voyageur austère, en alignant des Hansatsu.


Ça n'était pas une question ; mais une affirmation. Ces deux-là n'avaient pas besoin de se présenter pour se flairer mutuellement. L'un ne relâchait et ne ressentait aucune signature spirituelle ; l'autre disposait d'une parfaite maîtrise de ses flux au point de paraître plus humain que nature. Pourtant, les deux entités s'attiraient mutuellement, comme deux amants épris.

L'apparition d'une racine végétale brise la tranquillité de cette réalité. Le vaisseau spirituel fend la terre pour recracher son contenu : un homme. Une traque sinueuse qui prend fin : l’oisillon porteur de mort vient de s'empêtrer dans sa toile. Le voyageur époussète les quelques grammes de poussière de sa tenue, puis de sa poigne, enserre la porte et rejoint le comptoir du Kami d’Or.

Les quelques habitués n'osent poser un regard sur l'auguste ; instinct archaïque qui les épargne d’une mort certaine. Une bouteille de saké ainsi qu’une coupe choient sous son visage, sans la moindre injonction. L’autorité naturelle d’un golem millénaire.

Les lèvres du nomade captent le liquide, une première gorgée revigorante - son péché mignon. Phare spirituel, son troisième œil cerne la moindre intrusion dans son royaume. Aucune âme ou non-âme n'entre en Nihon sans que sa double vue ne la détecte. Or, l’enfant-nuit jure avec la réalité ; l’absence d’anima ou d'énergie spirituelle fait tache dans ce beau paysage.

Un trou à jamais vide, un pantin entre les mains d’une entité plus grande encore. Pour la seconde fois, la porte s'ouvre. Le chérubin aux boucles d’or pénètre l’échoppe et s'installe au côté de son ennemi naturel. De son index, le Qilin soulève l'extrémité de son sugegasa.


En d’autres circonstances, ses jeunes frères se seraient jetés sur cette chair fraîche au goût de cosmos. Tenebrae, ou l’Âme-Monde, est porteur de la magnanimité du Pater. Un pacte avec le Diable en personne.

Les doigts du pèlerin dodelinent sur le comptoir en chêne. Un fracas retentit, celui de corps tombant au sol, sans vie. Par sa seule volonté, les client se retrouvent dépossédés de toute âme - et donc de toute vie. Paume ouverte, face à l’engeance du Vide, laisse apparaître une dizaine de feux follets.


Les corps sans vie se relèvent, les uns après les autres. Pris de spasme, ce qui fut humain, jadis, revêt aujourd’hui les atours de Suzaku. Forme magnifiée de leur ancienne existence. Ses esclaves restent en retrait, statique. Incapable de bouger le moindre muscle sans l’autorisation du Porteur de Vie. Le proto-kami plonge son regard dans celui du colon. Ô Mère-Nuit, tes jours sont comptés.

Des menaces. Des paroles en l'air. Un discours rôdé contre quoi l'ermite s'était toujours préparé. Il avait combattu les affres de ce monde pendant des années, des décennies, des siècles, des millénaires. À l'âge de la Conquête, faibles étaient les rhizomes protecteurs du Nihon. Mais les soldats de la Nuit ne l'étaient-ils pas davantage ? Voici la lutte injuste dans laquelle se sont jetés tant d'acteurs. Un statu quo par défaut ayant obligé les Némésis à battre en retraite, tandis que des puissances tierces parasitaient l'échiquier manichéen, jusqu'à contrôler le plateau de jeu.


Les humains tombèrent et se relevèrent sans alimenter le cycle des âmes. Paysans insignifiants, ils avalèrent l'anima de leur nouveau maître pour renaître de leurs cendres. De jeunes Suzaku prêts à semer chaos et confusion dans leur sillage, au grand dam des nouveaux bergers.


Le passeur d'âme se rapprocha de l'impasse, sous la forme de dix abominations au potentiel encore endormi. En une fraction de seconde, le voyageur aux cheveux d'ébène avait confisqué le monopole de la discussion en imposant une supériorité numérique déloyale. Par chance, ces Désolations peinaient à se montrer menaçantes. Leur cosse était encore apparente ; leurs ailes n'avaient pas encore séché. Des balbutiements à peine spectaculaire sur la trame de l'univers.

Face à ces dix âmes, vingt asauchi apparurent du néant – ou plutôt, du monde intérieur imposant de l'ermite. Des armes de toute sorte, de toute taille, de tout pouvoir ; des armes parfois méritées, parfois confisquées, mais toutes contrôlées par le passeur d'âmes, n'ayant besoin d'aucune clé pour emprunter leur puissance. Sans quitter l'étranger des yeux, l'ermite projeta ses excroissances vers ses cibles de choix, captives de l'ambition du Qilin, dans un déferlement d'énergie spirituelle hétéroclite. Tout un pan de la bâtisse vola en éclats, tandis qu'un nuage opaque de fumée se dégagea des décombres, alertant le village d'une catastrophe au Kami d'Or.


Cette discussion avait déjà trop duré. Des entités aussi fondamentalement opposées ne pouvaient se rejoindre sur un même discours, une même idée, une même ligne directrice. En rejoignant la province de Miyazaki, berceau de tout le Mal que recèle le Nihon, l'ermite ne comptait pas l'emporter par les mots. Et il eût été sot de considérer l'avenir autrement.

Le cycle se répète. Le peuple élu ouvre son cœur et les colons le piétinent. Le voyageur ne pleure pas la mort de ses fils. La première guerre a tarie toute réserve lacrymale. Encore et toujours, la progéniture d’Amaterasu se veut la plus belliciste. Encore et toujours, le Porteur de Vie doit prendre les armes pour assurer l’équilibre du Nihon. Face à ce déchaînement de puissance, la paume du Qilin heurte le chêne du bar. Une onde invisible porte un message à son peuple : ne pas intervenir, ni pénétrer la Première des îles. L’injonction met un terme à la convergence de plus d’un millier d’âmes viciées, toutes plus affamées les unes que les autres. Pas même les Exarchi ne joindront la mêlée. 


La possession relâche son Reiryoku fabuleux. Quantité quasi-infinie de pure énergie se déverse autour de lui ; puissance transcendant les capacités de la sensorialité. Une explosion retentit. La preuve d'un mur du son franchi. Cinq phalanges distales cramponnent le faciès du colonisateur. En un battement de cils, la ruée forcée les mène au large d’Okinawa - à plusieurs centaines de kilomètres du Nihon. Derrière eux, les stigmates de leur sillage marquent la chair de Kyushu. Océan et jungle se séparent en deux, avant de revenir à leur état initial. Contrôle parfait de la nature. 



Tenebrae s'entoure d’un halo d'énergie primaire, à des années-lumière de l'énergie dévoyée par les parasites spirituels que sont les Shinigami. Les fragments de peau humaine se détachent pour libérer le Qilin. L'océan, sur plusieurs kilomètres, est chassé. Au centre de ce cratère exempt d'eau gît l'Exarchus. Titanesque serait un mot trop faible pour décrire la taille de ce monstre. Le mont Fuji, en comparaison, ressemble à une vulgaire brindille. Huit gueules déchirent l’horizon, pour tout autant de queues. 


Le Deuxième Aspect libère, de manière quasi-instantanée, huit faisceaux d'énergie capable de modeler la fabrique de la réalité selon ses souhaits. Des rayons de Reiryoku fabuleux aussi larges que des montagnes. Toute vie ne peut que se désagréger à proximité de tels Cero. Une mise en bouche, un hors-d'œuvre. Par-delà la mer, l’influence du Dangai se ressent. Émissaire et espace sont pris pour cible face à cet assaut irréel.

Il avait suffi d'une invitation pour convaincre le gardien tellurique de déterrer la hache de guerre, comme s'il n'attendait que ça. D'une force surhumaine, au potentiel dépassant toute imagination, l'entité au sugegasa empoigna le visage angélique du passeur d'âme à lui en fracturer les os, avant de l'emmener au loin, très loin, en pleines eaux de l'archipel d'Okinawa. L'ermite eut à peine le temps de développer une seconde peau métallique que son amant et lui se trouvaient déjà bien loin des côtes, en tête-à-tête. Ainsi, son partenaire avait fait vœu de protéger l'Humanité...


Le simple contact de la dextre de la créature sur l'armure du passeur d'âme imposa un stigmate glacial sur le bout de ses doigts. Sans toute l'énergie spirituelle qu'il dégageait naturellement, l'androgyne aurait subi de froides représailles. Par chance, il n'en était rien : les ordres de grandeur franchissaient des sommets incroyables. En ce moment historique du cosmos, ce duel transcendait à des années-lumières ces vulgaires conflits fratricides entres mortels.

Humanoïde devint créature titanesque à huit têtes. Hélas, le passeur d'âme ne pouvait pas suivre son adversaire dans cette démesure. David contre Goliath, un affrontement sans pareille allait faire vibrer les fondations mêmes du Nihon, tandis que l'Hydre de Lerne s'affairait déjà à confisquer la puissance tellurique de son monde pour composer un déferlement d'énergie capable de briser maintes dimensions parallèles. Le « Cero » emblématique des Désolations voyaient en cet assaut complexe un exemple à suivre, et celui-ci se déversait sans relâche sur la mouche en armure marchant sur la mer agitée. À mesure que l'agglomérat d'énergie s'approchait de l'ermite, les flots étaient engloutis, les particules spirituelles contenues dans toute chose se jetant dans la machine instable pour l'alimenter. Personne ne pouvait lutter contre ça.


De l'autre côté de la barrière, aux abords du passeur d'âme, les eaux commencèrent à se soulever. D'une vitesse inouïe, digne de l'assaut de son Némésis gargantuesque, l'entité aux asauchi imposa sa volonté sur le Reishi alentours pour ériger une épaisse muraille. Le Nihon n'était qu'un bac à sable géant, dont chaque élément pouvait être réduit à sa nature originelle : de l'énergie. Et cette énergie illimitée, omniprésente, apportait à ses manipulateurs une polyvalence hors-pair.

Parmi la vingtaine d'asauchi libérés gravitant autour de lui, l'ermite en empoigna un, et lui insuffla suffisamment d'énergie spirituelle pour lui permettre de parer cet assaut. Soutenu par le mur de Reishi, le Stern Ritter se fraya un couloir pour rejoindre la bête, évitant d'être carbonisé vif par cette puissance déchaînée. Il affronta le Cero de face, zanpakutō en avant ; et concentra sa puissance latente pour trancher la chose en deux, progressant davantage vers sa cible géante. Tel un prisme de lumière, le faisceau d'énergie se divisa en deux pour annihiler les eaux de part et d'autre de l'ermite, tandis que celui-ci glanait encore et toujours de précieux mètres.


Une paire d'ailes apparut aussitôt derrière l'armure vivante. Symbole de sa puissance libérée, l'ermite adopta soudain une trajectoire étrange, comme si ces excroissances lui accordaient des déplacements hors du commun. À défaut de foncer en ligne droite, l'Enfant-Nuit enchaîna des courbures irréalisables, voguant entre les différents faisceaux d'énergie sans se brûler les ailes.

À portée de la créature, il était grand temps de frapper. L'asauchi qu'il tint en main se métamorphosa alors pour développer une apparence exubérante, témoin de toute la surenchère de la précieuse libération ultime des shinigami de la Soul Society. Il y eut comme un instant d'apesanteur ; et puis, comme un seul homme, la mer d'Okinawa se leva pour fondre vers la créature et l'avaler, via les mâchoires aqueuses et les tentacules infinis d'un monstre créé de toute pièce. L'objectif était d'occuper un grand nombre de ces têtes pour s'en occuper d'une à la fois. Et, à l'aide de ses multiples cabrioles, l'ermite s'approchait déjà de l'une d'entre elles, son nouveau trident prêt à mordre la chair protégée de son ennemi séculaire.


L'arme fut projetée en ligne droite, vers ce qui semblait être l'une des jugulaires de la créature. La vitesse du projectile fut telle que sa résistance face au vent l'embrasa. La comète avait pris pour cible l'hydre du Nihon, et celle-ci n'était que les prémices d'un déluge conséquent.

Asauchi empoigné. De sa dextre, il plie la nature environnante à son joug. De sa senestre, l’Enfant-Nuit dévoie la nature originelle pour former un rempart de Reishi. Les jalons de ses positions passées attestent une vélocité effroyable ; ruée le menant vers une mort certaine… En temps normal. Maître d’armes invétéré, le crissement de sa lame succède à son assaut : le rayon d'énergie spirituelle, digne d’un Hiryū Gekizoku Shinten Raihō, est découpé en deux.

Boucles dorées soufflées au gré du vent, le Cero explose dans son dos ;
Mormaer ne craint pareille menace.

Pour corroborer la toute-puissance de son peuple, le papillon du Vide déploie ses ailes incandescentes. Rictus se greffe sur les huit têtes reptiliennes. Tenebrae n’avait plus revu cette vision depuis des temps immémoriaux, l’ère Jomon ou la revendication et protection du Nihon par les Exarchi. Porté par ce nouveau pouvoir, le Stern Ritter dompte les cieux. Ses cabrioles aériennes certifient le contrôle de la forme absolue du Menschen-Nacht.

Bankai libéré, le temps se fige. Calme précédant maelström. Okinawa se retire, signe d’un cataclysme n’ayant connu d’égale - à mémoire d’homme. La Voûte Céleste se confond avec la mer ; lame de fond implacable. Aussi haute que le Deuxième Aspect, la créature aqueuse percute Yamata no Orochi d’une puissance égale à plusieurs millions de mètres cube d’eau. Les tentacules infinis - du fait de la présence omniprésente d’eau - s’enroulent autour du titan.

L’alliance Shinigami-Nuit restreint l’Exarchus.

Mormaer profite d’un angle de tir improbable : face à la bête. Le mur du son se brise et embrase aussitôt le projectile. Aucune pupille, pas même le Nagaime, ne peut bénéficier d’une assurance face à ce tir. Sectionnée en deux, plaie aussitôt cautérisée, la première des huit têtes choit dans la mer. Une source d'énergie gargantuesque pour l’écosystème maritime : un biotope verra les jours dans ses entrailles.

Depuis combien de siècles, une entité avait-elle réussi à percer ses écailles infranchissables ?
Pas même ses frères ne le pouvaient. Le Qilin hurle de rage.  


Les gerbes de sang projetées sur la Créature Ultime, lors de la décapitation, viennent à bout du monstre coercitif. Le sang, devenu Sekkiseki au contact de l’air, dévore la prison aqueuse depuis l’intérieur. Le halo d’énergie magnifiée se tarit. Zébrures assaillent la chitine de l’Hydre du Nihon ; le cocon libère son fruit.


Ce nouveau palier libère une onde d'énergie spirituelle chassant tout organisme, toute matière, sur des kilomètres. L’apanage d’une forme absolue ; quête principale de tout yokai. Humanoïde, l'aura d'énergie primaire ne le love plus, elle est en lui. Ses deux bras s’élèvent, l'œuvre débute. Ses doigts virevoltent dans l’éther, à l’instar d’un maestro dictant une symphonie à son orchestre.

Ici, Nihon est orchestre.

Oeillade déportée sur la droite, sirocco hélé de gré ou de force. Oeillade déportée sur la gauche, mistral assujetti. Les cieux se teintent d’un voile mortifère, l’orage gronde et le feu céleste pleut déjà sur le champ de bataille. Dans le dos du proto-kami, huit feux follets prennent place et tournent de manière perpétuelle, dans une orbite immuable. Le Dharmachakra. Eau, foudre, feu, terre, vent, vide, lumière, ténèbres ; ingrédients originels du Nihon. Hélas, le vide s’efface du fait de sa tête sectionnée.

Les deux bras du Porteur de Vie choient, concerto terminé.


Le maléfice archaïque naît des paumes ouvertes de Tenebrae. Une bille aussi vive qu’une étoile, aussi dense qu’un trou-noir. En elle, se lient création et destruction, vie et mort, ciel et terre. Obole acceptée, le sortilège entame son ascension dans les cieux.


L’Âme-Monde sacrifie son anima en tribut pour ce Kido Primitif - puissance tellurique parachevée. Un filet de sang s’écoule depuis son nez, l’Exarchus ploie le genou et cherche à récupérer son souffle. La bille implose et déclenche une réaction sans précédent : de l’anti-matière. Au contact de l’onde omnidirectionnelle, reiryoku et reishi s'entredévorent. Passe-muraille par excellence. La nature se dissipe : la mer s’affaisse sur elle-même, les cieux disparaissent. Zone blanche où aucune forme de vie, ou de non-vie, ne peut subsister. Le cerveau humain, limité, ne peut comprendre ce qui se joue ici : la destruction du monde.

Derrière son sillage, plus rien ne subsiste.

Une racine se lie à la cheville du Qilin ; son corps est happé pour être recraché sur la rive. Une main se pose sur son épaule, derrière lui, les neuf autres Exarchi se sont réunis. L’éveil du deuxième Aspect brisa leur torpeur millénaire.


Le premier des Dix Aspects. Yokai trônant au sommet de l’échelle alimentaire. Le seul du trio à ne pas disposer de trésors sacrés - sa puissance l'en empêchant. Un pas en avant et les rangs sont quittés. Face à l’onde porteuse de mort, le claquement de ses doigts met un terme à la destruction prématurée du Nihon. Mouvement rotatif d’épaule, sa main pointe l’horizon disparu : océan, faune, flore, cieux, tout ce que l’onde dévora, réapparaît.

De son seul Reiatsu, le Nihon amputé est revivifié.
De son seul Reiatsu, les ecosysèmes marins sont renforcés.

L'enchaînement des capacités surhumaines de Mormaer avait porté ses fruits. Après avoir échappé au déluge d'énergie de l'Âme-Monde Elle-Même, le chevalier stellaire avait trouvé une faille dans le rempart d'offensives, et l'exploita pour couper le mal à la racine ; du moins, arracher l'une des huit têtes affreuses de l'Hydre du Nihon. Pourtant, il en restait encore sept à suriner.

Par chance, le lancer d'asauchi avait été fatal. Dans une autre réalité, la gorge de la bête n'aurait été qu'abîmée, sectionnée, et sa légendaire régénération naturelle aurait essuyé cette perte d'un revers de la main. Mais il en avait été autrement. Pour la première fois depuis des millénaires de silence, les Enfants de Tsukuyomi représentaient un danger véritable aux yeux des Exarchi.


Les Exarchi sont des êtres de Cœur. Des amalgames de sentiments exacerbés, d'émotions conflictuelles, de cette chaleur ayant donné aux êtres humains leur puissance sociale. Face à cet affront, l'Hydre ne pouvait rester indifférent. Hélas, même si Mormaer s'attendait à des représailles dantesques, il n'avait pas pris conscience du niveau de son adversaire, puisant alors davantage dans le miel des lignes telluriques pour s'élever, lors de sa « Resurrección ».

À défaut d'une créature abominable mesurant plusieurs dizaines de mètres au garrot, une silhouette bien plus menue apparue devant le Stern Ritter. Cette feue apparence était extrêmement destructrice pour bien des entités, mais face aux élus de la Nuit, il fallait jouer de vitesse. Cela, l'Hydre l'avait bien mémorisé. Et il comptait bien corriger ses erreurs sur le pouce.


Les Éléments s'agglutinaient déjà derrière l'Exarchus. Eau, Foudre, Feu, Terre, Vent, Vide, Lumière, Ténèbres ; tant de piliers du Nihon, voire de la Création Elle-Même, dont la puissance avait été harnaché par l'Aspect de la Violence. Un tel assemblage de constitués instables, dans un prisme aussi restreint, n'allait qu'accoucher que d'une seule chose : la Destruction.

Mormaer tendit sa main en l'air ; l'un des asauchi qui gravitaient çà et là lui arriva directement en paume. Les autres, en formation erratique, se dirigèrent aussitôt derrière le Stern Ritter, prêts à fondre de concert sur une même cible. Le clou du spectacle allait s'abattre sur leurs cercueils.


Le katana abandonna son enveloppe hibernale pour s'habiller de cendres. Un long nodachi, dont la lame était écaillée de tâches carbonisées, apparu dans le champ de vision de Tenebrae.


Une cape de cendres se greffa à l'équation. Par-dessus l'armure étrange de Mormaer, une robe éthérée se posa, couvrant le moindre de ses membres, en plus d'une capuche fait du même matériau – cendreux. Mais le plus gros de la transformation s'opéra dans les cieux eux-mêmes ; car les nuages perdirent de leur blanc de nacre pour devenir des amas grossiers de cendre, à deux doigts de rejoindre le champ de bataille. Au cœur de ces boules asphyxiantes explosaient d'instables poches de flammes, dévoilant le potentiel infernal que constituait le zanpakutō.



Après le ciel, la terre. Voilà le potentiel ultime d'un zanpakutō ; l'apogée d'un art de plus de dix mille années d'entraînement, qu'aucun passeur d'âme n'a encore jamais atteint. Le cinquième as dans la manche du parieur. La couronne d'un roturier devenu empereur. L'ascension d'un augure au rang de divinité intemporelle. Bientôt, la mer d'Okinawa s'habilla d'une épaisse fumée noirâtre, dénuée de tout oxygène, tandis que les moindres particules de Reishi contenues dans ces eaux, à perte de vue, dégageaient le précieux gaz. Tout suintait de cendres – Mormaer compris. Il suffisait de la moindre étincelle pour détonner ce surplus de fumée inflammable ; le moindre ordre ; la moindre envie d'annihilation de la part du Stern Ritter. À l'image de son peuple, Mormaer comptait bien appliquer cette règle d'or décrivant le Menschen-Nacht au mieux.


Alors, Tenebrae relâche son déferlement d'énergie. Un torrent d'anti-matière, composée de toutes les choses créatrices du Nihon, matériaux neutres dont l'Exarchus donnait à présent un sens. Malgré la concentration de cendres de Mormaer, toujours plus dense, dessinant une épaisse protection entre lui et le rayon destructeur, celui-ci tranchait la matière comme une lame chaude dans une motte de beurre. Lorsque le Stern Ritter décida d'utiliser le pouvoir de son zanpakutō harnaché, la boule de cendres explosant en une déflagration aveuglante, l'assaut de Tenebrae put à peine être ralentie, continuant coût que coût son trajet jusqu'à sa cible ailée, immobile.


Lorsque la poussière retomba, il ne resta pas grand chose des eaux d'Okinawa, qui restèrent en suspens dans le vide avant de reprendre position – la mer séparée en deux gros blocs. Et, au milieu de ce vide, il y avait Mormaer. Immobile. Haletant. Foudroyé par le feu de l'Exarchus.

Le long nodachi qu'il empoignait à une main commença à se fissurer ; à se briser. Puis vient au tour de son armure éthérée, métalliques, aux reflets étranges, qui abandonna des fragments çà et là, dévoilant le corps de l'éphèbe, et l'un de ses yeux d'azur. Lorsque les jointures de sa protection de bras directeur cédèrent, un sang bleu ruissela hors des trous, vidant le Stern Ritter de son précieux fluide vital. Puis, son bras tomba. Net. Chutant dans le vide des eaux séparées, avant que les flots ne reprennent leurs droits et n'avalent l'offrande de chair. Que s'était-il passé ? Comment avait-il pu perdre face au Gardien Tellurique ? Y avait-il un tel gouffre entre les envoyés de la Nuit expatriés, et les Exarchi protégeant leur terre de naissance ?

La protection de Mormaer tomba en morceaux. Le puissant choc avait été distribué dans toute son armure, et celle-ci peinait à conserver son intégrité. Les secondes défilant, le Stern Ritter se retrouva nu, dépossédé de ses armes, ses asauchi ayant été éradiqués par l'assaut d'anti-matière.


Une faille apparu dans le dos de Mormaer. Des tentacules du Vide essayèrent aussitôt d'en sortir pour agripper les membres du Stern Ritter, se greffant à sa peau pour lui offrir une armure organique artificielle. Mère n'allait pas abandonner Son Enfant aux mains des Égoïstes.


L'entité stellaire fut attirée dans le Dangai. La présence oppressante de la Nuit le lovait déjà.