Qu’est-ce qu’un enfant, si ce n’est l’extension immature de son nom de famille ? Dans ce monde irrationnel, où le destin des pères se répercute sur les fils, à quoi peut bien ressembler un environnement idéal ? Il n’existe qu’un seul mot d’ordre sur ces terres souillées : l’Honneur. Suivre le code d’honneur c’est ne jamais faiblir, c’est suivre une voie sans regret, c’est fuir la honte. Mais un homme ne meurt jamais seul, aussitôt sa mort rendue honorable, il n’y a qu’un pas vers la dérive. Qu’un seul pas pour pousser une mère et le fils héritier d’un nom à fuir pour leur vie. Qu’un seul moment pour qu’un enfant laissé pour mort gise près d’un bout de viande découpé et abusé. Tout ça à cause de l’honneur, parce que sur ces terres on ne peut vivre dans la honte, la défaite est synonyme de mort. Et pourtant, il a suffi que d’un seul souffle pour rendre la vie à cet enfant, un premier pas vers son opposition au mot d’ordre. Le premier d’une longue série qui l’amènera à transgresser l’honneur, et à vivre après la mort de ses pairs.

Recueilli, soigné et éduqué par une personne au destin similaire, il se détourna de la foi et de la loi pour grandir dans un environnement rude, mensonger et criminel. De ses mains fines et douces il apprit à sauver des vies misérables, tout comme il pouvait les reprendre. Il utilisa son visage pour charmer son entourage, son cache-oeil suscitant le mystère tandis que ses lèvres glissaient des vérités parmi ses mensonges, créant plusieurs façades pour qui lui donnait de l’attention. Aimé par certains et envié par d’autres, il finissait souvent par disparaître dans la nature, son acte rebelle déjà commis, sa marche funèbre se poursuivant. Lorsqu’on contemplait les peintures marquant sa peau, on sentait un retour à la réalité frapper, l’enfant déshonoré devenu un homme condamnable s’était rapproché des sphères les plus sombres de la société.

Le jeu, le trafic et le profit, le crime était une source de revenus, mais aussi un moyen de se regrouper. De retrouver des cœurs aussi marqués que le sien, de former une meute remplis de fauves prêts à déchirer les autres, riches comme pauvres. Dans leur monde, il n’y avait qu’eux, puis les autres. L’homme condamnable était devenu un loup social, n’hésitant pas à s’accrocher aux gorges prônant l’honneur sale pour faire couler le sang, tout comme il traitait soigneusement ceux qui suscitait sa pitié. Ne répondant qu’à son ego et à ses propres valeurs, il laissa sur son chemin son lot d’ennemis. Une existence aussi égoïste que profitable était destinée à s’achever dans le sang. Le ventre ouvert et les pieds au bord de la falaise, il ne suffisait que d’un pas pour qu’il chute et rejoigne l’océan mortel. Le regard embrumé, le sourire aux lèvres, le cœur léger…

Au final, il ne suffisait que d’un dernier pas pour rejoindre le monde après la mort.

Il ouvrit son œil unique sur ces nouvelles terres, une myriade de sentiments l’enivrant, comme une vague d’émotions qui s’abattait sur lui avec force, avant de lentement se retirer pour laisser une plénitude sans précédent. Il devait ré-apprendre à vivre avec ce corps, marqué par une vie dont il ne se souvient de rien. Un oeil perdu, des doigts ne faisant plus la différence entre l’eau et le sang, son corps servant de fresque à une peinture révoltante. Quel sens pouvait bien avoir une nouvelle vie, lorsqu’on a du mal à comprendre l’impact qu’a eu la précédente ? Soejima Nobunaga, de son vrai nom, préféra se réfugier dans ce sentiment de plénitude alors qu’il laisse énormément de choses derrière lui : la rancœur, l’honneur des autres, la quête d’un destin libéré. Il était libre, même au-delà de la mort. Mais la liberté avait un prix, et armé de ses compétences particulières, il s'affirma comme un shinigami, l’ombre noire aux mains tâchées de sang. Pas parce qu’il blessait les autres, mais parce qu’il pouvait les sauver.