Au milieu de cet espace en dehors du monde résonnaient les impactes successifs de choc fulgurant entre le marteau de l’ancien ermite et les éléments frêles du décors tombant en miette devant ses assauts. Une véritable folie destructrice dont la colère abattait ces risibles constructions comme si de rien n’était, ne laissant dans son sillage qu’amas de poussières et de débris perdus, parmi lesquels voltigeait une âme perdu prise pour cible. L’Oriflamme, au coeur même de cette bataille dantesque tentait tant bien que mal de se rattraper entre deux voltiges l’envoyant traverser quelques pylônes fragiles et écorces vieillis, le corps à moitié ensanglanté. Suivre le rythme s’avérait quasiment impossible, diablerie sans nom dans lequel son corps adossé contre un tronc parvint à souffler deux secondes …





Ce ne fut que l’instant d’un mot pour envoyer valdinguer le corps du conjurateur d’un coup de pied magistral, le renvoyant sur plusieurs mètres au travers de la verdure propre à la jungle jusqu’à ce que sa silhouette finisse par s’encastrer dans un rocher avant de retomber au sol, souffle cours. Son torse peinait à lui accorder de grandes inspirations accélérées, filet de sang s’écoulant de sa lèvre inférieure, le regard dirigé vers la stature imposante de l’ermite. Pourtant, un sourire ornait le faciès de l’Oriflamme, content de retrouver là son ancien mentor.

… Kuff … Heureux de voir que vous êtes toujours aussi monstrueux …

Visage rude, pupilles orné de la blancheur du tonnerre, traits angulaires et massifs, corps couvert de runes et marques ancestrales. Le colosse voué aux arcanes du corps et de l’esprit en une association parfaite avançait vers son ancien disciple les bras croisés, sourire aux lèvres détourés par une barbe tout aussi imposante.





La respiration toujours aussi rapide, l’esprit quasiment prêt à vaciller, Segata repris dans un ultime élan de ses forces, éveillé par les conséquences de sa remarque. Cela lui rappelait cette terrible bataille où ils avaient écopés de quatre morts contre une créature d’une puissance affolante.

Je … Oui et non … Qu’est-ce que vous voulez dire ?

L’homme d’un âge et d’une érudition suprême ferma brièvement les paupières, prenant un air bien plus sérieux.





Le sorcier ouvrait grand les yeux devant le conseil de son mentor, ne réalisait pas encore la nécessité d’une telle chose. Ou plutôt, au vu des sortilèges de rang expert, cela devait être déjà acquis … Mais le souvenir de leur expédition contre le Yokaï de lave lui évoquait le contraire. Ce qu’ils avaient improvisé au dernier moment était dans ce genre là … Mais encore trop imparfait et peu fiable comme possibilité.

Un … Un enchaînement ultime ? Que …

Il aurait assurément aimé lui poser beaucoup de questions à ce sujet, revenant à cette période de sa vie où ce dernier ne disposait pas d’autant de charge sur les épaules. Mais la vitalité lui manquait, au point de couper court à une profonde discussion. Remarquant cela, son professeur arrêta son élan pour venir lui tendre un bras.

Relevé, transporté par l’appuie d’un seul bras quasi paternel, l’Oriflamme se retrouvait peu à peu dans la nostalgie de ses souvenirs où il n’était encore qu’un disciple parmi tant d’autres en pleine expansion. Son ancien maître doué des cent arcanes eut le loisir de le requinquer rapidement à l’aide de sortilèges avancés de soins avant de se rendre dans un genre de bosquet sacré à côté du terrain d'entraînement. Un endroit assez rudimentaire et sobre où résidait une ambiance mystique, avec pour seuls compagnons quelques offrandes et bandages disséminés ici et là en vue de cette journée. Non loin du feu de camp, Raijin l’ancien ermite s’occupa peu à peu de terminer le bouillon qui était en train de se préparer.





Sans pouvoir discuter ne serait-ce qu’une partie de ses ordres, le conjurateur s’assit prés du feu de camp, assez désireux paradoxalement de pouvoir se relâcher et de se détendre un peu depuis ces quelques mois. Dans ce contexte, les douleurs physiques ne représentaient rien … La fatigue mentale et morale de ces mois par contre s’avérait très pesante. Là, en compagnie de son mentor, il pouvait lui léguer ce rôle. Seulement, une question lui revenait en tête.

Ermite Raijin … Je n’ai toujours pas compris votre idée d'enchaînement ultime. Il m’a toujours semblé que les sortilèges experts faisaient en quelque sorte office d’ultimes exécution au vue de leur rang … Le plus haut niveau des Nécromancien.

Le bol de soupe chaud dans les mains, Segata commença à y puiser toute l'énergie pour se revigorer, ce dernier ayant au delà de son goût quelques propriétés curatives de fond destinées à accélérer la récupération passive. Raijin quant à lui récupéra aussi sa part avant de se poser sur un rocher, le regard à moitié sur son disciple et à moitié sur le terrain d'entraînement.





L’ermite instaura alors une petite pause afin de réaliser une petite illustration de ce qu’il comptait lui expliquer. Ce dernier attrapa un second bol de soupe afin de renverser le sien dans celui-ci comme pour refroidir un peu le liquide. Mais il s’agissait là d’une métaphore pour représenter la quantité d'énergie que l’on pouvait déployer en un temps donné.





Durcissant son regard et sa concentration, l’Oriflamme essaya de comprendre le concept qu’essayait de lui inculquer son professeur. En y repensant, cela faisait écho avec ce qu’ils avaient dû faire en groupe au mont Aso. Mais il pensait que cela serait un événement éphémère pour cette situation précise.





Perdu dans ses réflexions, le conjurateur ne daigna sortir de mots face à ces informations, essayant plutôt de voir ce qui lui permettrait d’aller si loin. Comment réaliser cette prouesse et garder un atout caché pour une telle situation à venir ? Pourtant il fut tiré de ses rêveries par le fameux Raijin qui aimait faire les choses dans l’ordre et surtout étape par étape.

La pause terminée, le conjurateur et son mentor avaient repris leurs positions de départ au milieu de ces ruines abandonnées, repère de fortune pour un ermite qui s’était retiré du monde tumultueux. Bras croisé et stature presque terrifiante de par sa musculature démesurée, Raijin arbora de ses sourires les plus sanguinaires, crocs exposés comme si ce dernier comptait dévorer des Yokaïs à main nue. Une possibilité qui ne s’avérait pas totalement hypothétique en réalité … Pour l’avoir vue de ses propres yeux par le passé.




Le guerrier barbare adopta subitement une posture quasiment tribal, écartant soudain ses jambes massives comme pour abaisser son centre de gravité, avant d’arborer deux geste spécifiques de ses mains, représentations propres aux arts martiaux. Mais ce n’était pas uniquement un pugilat qui allait avoir lieu ici mais plutôt une mise à l’épreuve du corps de l’Oriflamme pour en forger la résistance. D’ailleurs ce dernier se mit aussi en position mais activa plutôt son Shikai afin d’obtenir une restauration constante de son organisme pour l’épauler dans cette épreuve.





Tel une brute fendant l’air devant lui, le maître du Hakkuda et du Kido fonça en ligne droite le bras droit en avant, d’une course de profile assez marquée. Son faciès débordait de cette ivresse de la lutte et du sang, de cet aspect démoniaque que Gakusha aimait aussi profiter en certains moments. Véritable Berserker, le mentor incanta un sortilège spécifique destiné à fragiliser une surface afin de renforcer la frappe qui allait venir. Frappe qui d’ailleurs s’avéra d’une violence inouïe … Le corps de Segata ne put tenir à peine plus de deux secondes sur ses appuie avant d’éclater sur le pylône se trouvant derrière lui.





Sans même attendre, sans même lui laisser le temps de respirer, le barbare sans pitié se retrouva subitement au niveau du pylône sans arrêter sa course, surplombant largement Segata de l’ombre de sa silhouette gargantuesque. Une seconde frappe venait d’encastrer l’Oriflamme à même la roche friable, ne lui laissant guère de répit. La muerte. Une frappe qui avait la réputation de laisser sur le support de l’impact la trace d’une tête de même réalisé par le corps même de sa victime.

Kuff … Kuff … Je … Continuez … Je … Continuez, quitte à me tuer …

Sur ces paroles surprenantes, l’ancien ermite recula de deux bonds avant de prendre une bonne distance.

Mourir ici, vraiment ? L’Oriflamme n’arrivait pas à croire l’idée qui lui traversait l’esprit en cet instant, mais celle-ci s’imposa sans aucune forme d’échappatoire. Contrarié, acculé, enragé … Il s’avérait impossible pour lui d’oublier ces images refoulées de ses confrères se faisant dévorer sans pitié par la myriade de Yokaï apparue durant leur confrontation contre le boucher. Chacun de ces souvenirs défilaient devant ses iris à la manière de flash réalistes et traumatiques, incapables de quitter le déshonneur et l'échec que cela représentait sur ses prétentions d’égide des Shinigamis. Deux officiers et deux membres de son école, des pertes catastrophiques.

Là, ancrée à l’intérieur d’une surface rocheuse fragilisée, le corps de Segata gisait sans aucun mouvement, le regard légèrement orienté vers le bas et surtout absent, perdu dans une réflexion ératique chargée en émotion. Nul besoin de se défiler. Il y avait pensé en effet, se laisser aller et simplement mourir exprès des coups de son mentor pour ne plus avoir à supporter tout ce poids sur ses épaules. Un instant d’épuisement, d’hésitation face à cette vie infinie qui ôtait à chaque fois une part de lui-même. Protéger son territoire, le Nihon, quitte à brûler tout le reste. Mais à quel prix ? Qu’allait-t-il rester après cet acharnement ?

Un moment de doute s’instaura dans son esprit, perdu dans la mélancolie des morts enterrés récemment. De fier guerrier sacrifié pour la paix de cette région, des amis, des confrères, des proches. Et lui dans tout ça ? Mais peu à peu, lui revenaient les visions précédant sa mort face à la stèle, de cette vision de son héritage, d’un futur hypothétique, de Sana, du Nihon, de ses successeurs. Et la voix de Satsujin qui résonnait dans sa tête, envahissant peu à peu l’ensemble de son esprit pour relancer cette élan destructeur.





Une ultime charge affublée d’un Kido qui cette fois n’avait ni besoin d’incantation, ni d’intitulé. L’érudit n’allait certainement pas tué son disciple mais espérait plutôt le tirer de cette torpeur capable de l’emporter dans l’abandon. Un coup ultime se prépara alors avant de fendre sur Segata. L’impacte déboucha sur un amas de poussière visible, le pylône s’étant définitivement écroulé. Pourtant, la silhouette du conjurateur se tenait à moitié debout, une couche d'énergie recouvrant son corps et surtout son bras qui venait de bloquer le poing de son mentor. Souffle court et en piteux état, ce dernier démontrait pourtant un baroude d’honneur symbolisant la maîtrise d’une résistance du corps absolue contre les lames, les coups de poings et même le Kido.




Jamais … Jamais je ne mourrai tant qu’il y aura des Shinigamis derrière moi, tant que le Nihon sera derrière moi. Je suis … Je suis Segata, l’Oriflamme, l’égide des Shinigamis ! Mon corps, mon âme, mes sorts, qu’importe … Après votre héritage, le miens survivra !

Et ce fut ainsi qu’emergea de la forge infernale de l’ancien ermite le corps d’acier de l’Oriflamme.