Recoller les morceaux
Recoller les morceaux - Sam 20 Fév - 14:46
Kintsukuroi
金繕い
Q
uelque chose ne va pas. Ces temps-ci, je me sens si... étrange. Déphasé. Troué. J'ai dû mal à rester cohérent avec moi-même, et je crains même cracher tout ce qui me passe par la tête, sans filtre. Je n'ai pas toujours été comme ça. Ça, je le sais. Ma bonne humeur a toujours été un fidèle compagnon, mais je crois que... je crois que c'est devenu autre chose. Une sorte de... parasite, peut-être ? Un manque à combler. Je me sens creux. Sans aucun moyen de le vérifier.Enfin. J'essaye quand même des choses. Aujourd'hui, j'ai prévenu mes supérieurs de mon absence, du moins, de mon congé, et me suis enfoncé dans les terres de Hokkaidō pour me ressourcer. Le froid ne m'a jamais trop dérangé. En bien des égards, mon corps est fait pour les températures extrêmes de l'île. Même en plein hiver, je survis. Ça n'est qu'adaptation, non ? Le peuple Ebisu, pour ce qu'il en reste, fait preuve d'autant de résilience. D'ailleurs, je devrais peut-être leur passer le bonjour, puisque je suis sur leur terrain de chasse. Par respect.
Déjà deux heures que je marche. Bon point : je sens encore mes pieds. J'ai apporté mes chausses les plus chaudes pour le voyage, au cas où des engelures viennent poindre le bout de leur nez. Mais, pour l'instant, tout va bien. Je ne croise pas grand monde dans le coin, sinon des animaux. Aucun yōkai non plus. Ce qui n'est pas surprenant, vu la démographie effleurant l'unique âme solitaire au mètre carré. Nous, à la neuvième, avons relativement peu de problème en matière de mauvais esprit, par rapport au Seireitei. Finalement, sans cœur à corrompre, la mort est bien plus paisible. Oserais-je l'avouer à voix haute ? Non, évidemment que non. Je ne suis rien dans ce monde pour me permettre d'avoir un avis. Même si mes supérieurs ont certainement le même.
Ce devrait être bon, ici. L'endroit est dégagé. Je ne risque pas d'être surpris par un invité mystère.
Je dégaine le tantō qui me sert d'asauchi, et m'installe en tailleur sur une roche découverte, servant de promontoire. J'avais déjà essayé de trouver des réponses en mon for intérieur, mais chaque tentative se faisait tuer dans l’œuf par une perturbation quelconque. Un appel à l'aide ; un éclat de voix ; une blague à pisser de rire. Mais ça, je ne peux en tenir rigueur à personne. J'ai toujours prétendu être le camarade drôle de la bande. Dès que notre cerveau malade trouve un trait d'esprit alambiqué, c'est bibi qui s'avère être le parfait juge.
Personne à l'horizon. C'est presque... agréable.
J'ouvre mes paumes vers le ciel, et pose ma lame par-dessus. C'est l'heure de se torturer les méninges dans une ataraxie parfaite pour tendre un peu plus vers la Vérité.
Flaire, Ketsumei.
Le tantō devient kriss. Je me lie, corps et âme, à l'esprit coincé à l'intérieur de mon zanpakutō. Ketsumei. Le « Pacte de Sang ». Ça n'a pas été simple de lui arracher son nom, donc la nature de notre lien est évidente. Peut-être a-t-il des réponses, lui. Même s'il n'est pas du genre très bavard, il observe, et il le fait très bien. L'esprit froid et analytique d'un chasseur émérite, profitant de la lumière que dégage son porteur pour se fondre dans son ombre projetée.
Convoques-tu vraiment le droit au Jinzen, Belluaire ? Bien des cycles de sang se sont écoulés sans que tu n'aies daigné craindre mon faciès. Ignorer la réalité n'en chasse pas miraculeusement ses maux.
Aide-moi à sonder mon âme. Je ne peux pas recouvrer ma mémoire, mais je sais qu'il se passe quelque chose, ici bas. Toi qui y rôde au quotidien, dans ce « monde intérieur » que tant d'entités ont expérimenté... Qu'as-tu vu d'anormal ? Que pourrait être le problème ?
Belluaire, je t'ai hurlé l'évidence depuis notre première rencontre, mais ton esprit n'a jamais su l'écouter. L'information est cryptée. Ton subconscient ne veut te faire l'entendre. Là-bas... tout n'est que chaos.
Je veux le voir de mes propres yeux. Guide-moi jusqu'à cette terre chaotique. Tiens-moi la main. Je veux recoller les morceaux, et combler les trous. Je ne supporte plus de n'être qu'une parodie d'humain...
Il y aura bien plus à accomplir que suturer les plaies de ton for intérieur, Belluaire. Ton subconscient a pris le contrôle de tes pensées, de tes émotions. Tu n'es que le pantin d'une petite voix qui, comme toi, désire résoudre l'énigme de ton existence. Mais la seule explication logique, paradoxalement, est l'illogisme.
Vent frais. Paupières lourdes. Respiration régulière. Je m'engouffre peu à peu dans les tréfonds de mon âme, là où aucun Ujisuke n'a jamais mis les pieds. J'ai peur, mais ne redoute rien. J'ai hâte, mais mon pouls ne vacille pas. La tête enfouie dans la gueule du serpent, j'attends.
Grade : Membre
Membre
Shijou Ujisuke le Suicidaire
Re: Recoller les morceaux - Dim 21 Fév - 20:37
Kintsukuroi
金繕い
P
longé dans les méandres de mon âme, je me découvre enfin. Ce biome, éternel champ de chaos, s'étend devant moi sans m'offrir l'alphabet nécessaire à son décryptage. La réalité me joue des tours ; elle a tiré la couverture de l'ignorance, et je reste maintenant sans voix. Assis en tailleur, sur ce promontoire rocailleux comme en plein milieu de ce non sens, je découvre les élucubrations malsaines de mon esprit ; et comprends pourquoi mon fil de pensées est si brouillé. Un éléphant rampe comme un escargot, sa trompe suintant d'une bave sèche ; un trou béant, carré, digne d'un souvenir arraché de force à mon arsenal de mémentos, me donne accès à un vide menaçant ; la terre s'enroule sur lui-même tel un serpent qui se mord la queue ; je ne vois aucun ciel, sinon cet océan privé de soleil, en apesanteur, relâchant parfois quelques gouttes.Tout menace de s'effondrer, à un instant ou un autre, et pourtant, ça a atteint le statu quo. Quelles entités se sont affrontées, ici bas ? Qui a causé tout ce raffut épineux, souillant mon ego et toutes mes prises de parole ? Pourquoi me sens-je si ancré à la terre du Nihon, et rêve des froides immensités du cosmos ? Qui suis-je ? Shijou Ujisuke ? Ou autre chose de bien moins humain ?
Les manigances du Concile Blanc me font de l’œil, alors que je ne sais plus où poser le regard. Aux quatre points cardinaux de mon purgatoire, j'hallucine. Un cochon humanoïde, aux défenses acérées lui montant jusqu'au crâne, puise un seau de sang depuis une banquise crevée. Une fleur ne cesse de perdre ses pétales mais les retrouve aussitôt, ses excroissances se laissant porter au gré du vent. Une femme masquée, le faciès couvert d'un ivoire semblable au Sekkiseki se tranche les poignées pour y laisser entrevoir des veines dorées, brillant d'un éclat stellaire.
Où se place la limite entre rêve et réalité, fiction et drame, fantasme et constat ?
Je suis fier de ta possession, Belluaire. Jamais au cours des ères de notre symbiose, je n'aurais imaginé te voir affronter tes démons lancinants. Peut-être es-tu digne de sonner le cor de la Grande Chasse, finalement.
Je ne sais pas ce que mon subconscient tente d'accomplir. Toutes ces anomalies... Est-ce vraiment moi qui les produit ? Il doit y avoir une raison. En mon for intérieur, mes souvenirs enfouis désirent peut-être me parler. Par le Codex, qui était Shijou Ujisuke...
Chaque détail n'est qu'un pan de ta personnalité brisée. Contemple-les, assiste à ta déchéance, et reprends-toi en main. Face au débâcle, tu as le droit d'avoir peur. Résoudre ton énigme en une seule traque est tâche impossible. Embrasse cette opportunité, et agis.
Une comète déchire l'océan nuageux dans un silence total. Son aura de feu, spectaculaire, cataclysmique, menace de me carboniser vivant. Ça fonce sur moi. Sur nous. Avant de se transformer en une nuée de papillons inoffensifs, virevoltant çà et là sans but commun. Cinq secondes suffisent pour qu'ils disparaissent en une poudre de pollen, nourrissant ce champ de lavande qui se profile à l'horizon, inlassablement. L'homme-cochon découpe une branche de lavande à la serpe, et la glisse dans sa besace de druide, avant de me fixer d'un regard vide.
Qui est donc cet hybride désarticulé... Dois-je l'abattre pour savoir de quelle couleur est son sang ?
Son sang est violet. Je hume son parfum et y décèle le même chaos que celui qui règne en maître ici. C'est la seule règle régissant le droit d'élire domicile dans ton monde intérieur, Belluaire. Ne pas suivre sa destinée.
Qui diable a déclaré ce dogme, Ketsumei ? Pourquoi mon ego m'interdirait-il de suivre ma destinée ? Suis-je voué à condamner le Nihon ? Ce ne sont que des inepties. J'ai été traumatisé lors de ma vie d'homme. Ma mémoire m'empêche de répliquer mes erreurs.
Les erreurs des uns sont les prémices des succès des autres. Une tentative qui échoue ponctuellement n'est pas foncièrement mauvaise. Il te faut trouver le bon créneau pour effleurer le divin. Ou forcer la chance.
Alors aide-moi, Ketsumei. Je ne peux y arriver seul. Épaule-moi dans cette tâche herculéenne. Que le monde s'aplanit ; que l'océan se renverse ; que le ciel brille à nouveau ; que cet homme-cochon retrouve son humanité ; que cette banquise fonde ; que cette femme masquée panse ses plaies. Et que je retrouve la raison.
Grade : Membre
Membre
Shijou Ujisuke le Suicidaire
Re: Recoller les morceaux - Jeu 25 Fév - 12:07
Kintsukuroi
金繕い
L
a vision insensée qui se dresse aux alentours découvre son plus fatal obstacle : Ketsumei. L'avatar de mon zanpakutō, faute de trouver des réponses à mes interrogations, voile ma vue en plaçant sa robe cendreuse devant moi. Son masque, rouge comme le plus pur des sangs, laisse entrevoir deux billes de saurien, l'iris fendu à la verticale. Il me fixe. Me contemple. Me juge. Me sauve. De cette connexion élémentaire, je sens tout le soutien de sa présence. Il ne peut rien faire, mais il est là. Et il sera certainement là à jamais. Jusqu'à mon dernier souffle...Pourquoi chercher une réponse dont la question n'a pas lieu d'être ? L'anomalie de cet endroit déborde par tous les pores de ta peau. Les fondations de ce monde intérieur sont bancales ; tu ne panseras aucune faille avec une maigre rustine. Il faut aller plus loin.
Me remettre en question, entends-tu ? Faire table rase de ma vie passée ? De ces impressions familières qui m'ont accompagné depuis mon éveil ? Je ne sais pas qui je suis. Je ne l'ai jamais su. Mon cœur tangue entre chaud et froid, terre et ciel, et la balance grince.
Tu es à l'image des êtres de cette terre. Un amalgame de plusieurs sources. Le monde n'est ni blanc, ni noir ; il n'est que gris de saleté. Je partage l'amnésie qui te frappe, et pourtant, connais ma place au sein du Grand Tout. Accepte ce que tu es : une variable du destin.
Apprendre sa place au sein du monde... Un dogme digne des grands augures shintoïstes. Est-ce cela, ma rédemption ? M'écraser, ne faire qu'un avec la nature, afin d'élever ma conscience par l'humilité ? J'entrevois un avenir où la chose est possible. Il me faut, hélas, tirer sur les brides du cheval m'ayant trainé en avant jusque-là. Adopter l'introspection du Jinzen. Organiser ma vie.
Merci, Ketsumei. J'ai de la chance de pouvoir compter sur toi. Je crois... que je me sentais bien seul, dans cette folle société. Peut-être essayé-je d'attirer l'attention pour glaner un peu de chaleur. Cela doit s'estomper.
Nous sommes liés dans les rouages du Grand Tout, Belluaire. C'est ma destinée, mon but, mon rôle, en tant qu'arme-esprit. Je suis là pour te servir. Mais... mon nom n'est pas Ketsumei. Tu peux m'appeler [la suite est incompréhensible]. Cela veut dire [langage cryptique].
Je... n'ai pas compris ce que tu viens de me dire. Peux-tu répéter ? C'est comme si... je ne comprenais pas ta langue... et pourtant... Y a-t-il une traduction ?
Tu n'es pas encore prêt, Belluaire. Notre symbiose n'est pas parfaite. Nous venons tout juste de nous rencontrer. Fais couler le sang, et je m'assurerai de rebâtir ce monde intérieur qui te perturbe tant. Donne-moi les droits. Ton subconscient a besoin d'un Architecte.
Grade : Membre
Membre
Shijou Ujisuke le Suicidaire
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
|
|