![[Solo] Éclosion XQnkW](https://i.goopics.net/xQnkW.jpeg)
Un silence glacial…
De mauvaise augure, son âme avait été scindée en deux. Une amertume ancrée, celle d’un nouveau jour qu’il ne verrait pas. Toutes les cellules de son organisme étaient à l’arrêt, son corps inerte flottait dans la rivière. Déchiré. Dans son monde intérieur, le ciel d’ordinaire bleu était noir, mais aucune étoile n’éclairait la Nuit ; celle-ci régnait. Il ne pouvait donc pas voir, dans ces ténèbres annihilants, si la rivière était d’eau ou de sang. Il se laissait porter par les flots.
Avait-il bien fait ? Apparaître dans le monde intérieur d’un autre Parle-Esprits pour jouer les chevaliers blancs, mais sans user de force. Finalement, il n’avait servi que de sacrifice. Peut-être aurait-il été plus sage de la laisser mener son propre combat. Tout le désordre de son monde aurait pu être causé par sa colère et sa tristesse, mais il n’en était rien. Il ne ressentait rien, pas de haine ni de regrets. Sa sagesse était trop grande pour qu’il se laisse ronger par les ressentiments.
Mais même s’il avait réussi à garder un certain calme jusqu’ici, le tonnerre finit par retentir. Lors des flashs lumineux provoqués par celui-ci, il le voyait : son bourreau. Ce visage cadavérique aux cheveux morts, dénué de vie, si ce n’est pour ses deux yeux d’un bleu froid et mystique. Dans sa grande humilité d’âme, il avait pourtant pensé pouvoir communiquer avec cet amas de chair putride, qui ne fit qu’écraser l’insecte qu’il était sur son passage.
Il l’avait dans l’os, c’était le cas de le dire.
Embrumés, son corps et son esprit. Stoïque malgré cette vision horrifique, mortifère. Il ne pouvait se laisser envahir par la haine. Elle le rongerait plus vite que tout. Derrière les nuages du ciel nocturne, l’ombre d’une main géante squelettique qui transperce le ciel et vient s’abattre à plat sur lui, l’enfonçant au fond de la rivière. Il ne put réagir, son corps étant paralysé. Il manquait d’air, il allait donc être noyé là, dans cette rivière. Impossible, car c’était la même rivière où résidait son sabre-esprit…
Fais croitre la rivière… Seiryûrô.
Cette simple formule d’appel suffit à réveiller l’eau qui dort, ou plutôt le dragon qui dort dans l’eau. Soudain, ce sont plusieurs mètres d’eau qui montèrent et l’élevèrent vers le ciel, dépassant déjà le niveau de la terre et transformant la forêt alentour en marécages. Mais alors, que le grand dragon azur montrait le bout de son nez pour surgir de la rivière et s’envoler au-dessus d’elle, le temps s’arrêta brusquement. Comme dans cette caverne, il s’était figé dans la glace. Le dragon majestueux en plein envol avait été stoppé net, offrant une nouvelle sculpture de glace somptueuse à ce monde imaginaire.
Et d’un coup, la fissure. Encore. Le marteau tappa à nouveau dans la glace, s’abattit à nouveau sur lui, détruisant la sculpture draconique sur son passage, et découpant le malheureux shinigami coincé dans la rivière gelée en deux morceaux. Retour à la case départ, ou répétition du mauvais sort. Il ne sentait pourtant rien, que ce soit dans son monde ou dans un autre. Et pourtant, il voyait le bloc de glace contenant son autre moitié se détacher et dériver.
Le ciel noir et tempêtueux se dégage pour laisser place à une lumière imaculée. Il pense enfin, peut-être, entrevoir la fin du cauchemar. Et pourtant… Elle est là. La plus titanesque des lames forgée dans le plus pur des matériaux ; le Reishi. Pesant dans le ciel au-dessus de lui comme une épée de Damoclès, elle n’attend plus que le passage de quelques pétales de cerisier au-dessus de la rivière pour s’abattre sur lui et le condamner au repos éternel. Être transpercé par une arme aussi pure lui semble presque comme un privilège.
Il ferme les yeux, acceptant son châtiment.
Mais rien n’arrive à celui qui ne fait rien aux autres. Un nouveau grondement de tonnerre, un foudroiement. Les arbres s’enflamment. Du feu bleu vient alors recouvrir la glace, la faisant fondre, tout comme la lame à la pureté absolue. Peu à peu, son monde guérit. Il sent la chaleur le ramener à la vie. Lorsqu’il rouvre les yeux, le chaos semble avoir quitté les lieux. La pluie tombe sur les pétales de cerisier qui flottent à la surface de l’eau. Sous ses pieds, l’ombre du dragon lui aussi revenu miraculeusement à la vie tournoie au fond de la rivière.
Il se tient debout sur l’eau, le froid a disparu.
Ne me refais pas un coup pareil…
À ces mots, il est éjecté de son monde intérieur et son corps se réveille enfin dans un sursaut. Il transpire, malgré qu’il ne porte rien. On a dû lui retirer ses vêtements trempés de sueurs froides. Son corps, glacial depuis qu’il était tombé dans le coma, était brûlant. Et, plus déstabilisant encore, lorsqu’on vint à son chevet lui demander ce qu’il avait vu dans ses rêves…
Il ne pouvait pas répondre. La mélodie du shamisen résonnait encore dans sa tête.