Quelle étrange sensation était-ce de sentir à nouveau pleinement le doux baiser du zéphyr caressé mon derme renouvelé, la texture si familière du tsuba de ma fidèle trancheuse d'âme ou les simples pleurs des cieux pendant mes entraînements au quatre coins de Tohoku. Miracle exaucé par la déesse-solaire, j'étais de nouveau moi-même, entier. Non. Je venais à peine de renaître, m'extirpant sous son regard bienveillant d'une chrysalide aux couleurs des Pères Fondateurs au profit d'une nouvelle forme plus majestueuse, à présent fils de la Nuit et parangon de son domaine.

Enfant-Nuit, tel était le seul sobriquet qui pouvait dorénavant me qualifier, et pourtant, alors je n'en avais pas pu exploiter le plein potentiel, je reçus une missive de la part de ce bon vieux Mort m'invitant à le rejoindre au temple d'Awa. Vu le phrasé du message, il était certain que Kamui fut, lui aussi, convié. Cependant, je n'avais pas pour ambition de m'y rendre seul.

Cabale des parias du Goteijutai, mes frères d'armes et moi-même avions pu échanger sur nos récentes expériences avec les menaces du monde spirituel dans un secret presque sacré. Apôtre nocturne perdu en plein Nihon, chevalier de la Nuit gardant les frontières du temps, monde désolé dirigé par une prêtresse de l'Apocalypse et Roi monstrueux se cachant parmi nous tel un loup au milieu d'un troupeau. Tant d'informations furent échangées que je dus insister à la formation d'un accord entre nous : le partage externe de confidences devra être approuvé par au moins deux des têtes du Dragon de la Yonbantai, devenu Hydre par l'adhésion du Kaiin du Troisième-Oeil.

C'est donc en compagnie de mes trois frères de la Nuit que je me présentai à l'invitation de l'ex-Fukutaicho, surpris de trouver, à la place du territoire sauvage de la Nature, un temple plein d'humilité dans son architecture. Condition compréhensible par sa nature profane pour les maîtres terrestres et souterrains, le sanctuaire n'en était pas moins une avancée pour l'armée de Mère. Face aux portes décorées de talismans sacrés pour n'importe quel enfant d'Amaterasu, je jetai une dernière mon regard sur mes camarades.

– Notre pèlerinage est sur le point de commencer on dirait. Mes frères, êtes-vous prêts ?

Répit en attente de réponses, je n'offris qu'un hochement de tête solennelle lorsque celles-ci furent données avant d'ouvrir dans le plus grand des calmes les portes de la demeure de notre hôte.

Jamais je n’aurais cru, qu’un jour je prierais cette voix que je croyais qui me hantait. Si l’on m’avait dit auparavant que je prierais cette déesse, que je lèverais ma lame pour elle, à en dédier ma vie. Je suis ces derniers temps un homme changé. Changé par la trahison, changé par ces nouvelles rencontres. J’en venais à questionner nombre de choses. Mon affiliation. Avais-je trouvé une vraie voie ? Non. Je n’étais pas encore sûr, la troisième division avait son empreinte sur moi et j’avais des choses à régler. Mais si j’avais besoin de voir l’avenir sans être au contact des shinigamis, je savais vers qui me tourner.

La lettre venait à point nommé, j’étais invité par Mort pour rencontrer quelqu’un. Je lui ferais part de mon envie de comprendre comment créer un vrai lien avec la mère nuit. Accéder à ce qu’il faisait. Le lien à l’énergie qui nous entoure. Lorsque j’ai utilisé cette arme qu’il m’a offert, quelque chose s’allumait en moi je le sais. Je me sentais comme… entier. Moi-même. Libre de contraintes.

Seul problème, je n’avais personne à faire venir. Je n’avais aucun doute sur le fait que Seigen serait présent, mais je ne serai pas celui qui apporte des gens, je viendrai seul. Moi et mon fusil, moi et mes prières, tournées vers la nuit. Quelle ne fut pas ma surprise, lorsque j’arrivais, je pu constater que Seigen ne portait plus de bandages. Une surprise agréable, j’étais content pour lui, chose que je n'offrait pas à grand monde d’habitude. Je fis bonjour de la tête à tous ceux qui l'accompagnaient, sûrement des sympathisants de notre cause de la 4ème division, il ne me connaissent surement pas et doivent se demander ce que fait un membre d’une autre division. Peut-être que Seigen leur a parlé de moi. Je ne serais pas étonné non plus. Je reste dans tous les cas stoïque. Le visage calme et froid. Oui, mon pèlerinage pour la mère nuit commence ici.

- Je ne sais quoi dire, c'est un moment spécial qui se prépare.

Je pouvais maintenir un visage calme, mais j'étais impatient, en mon fort intérieur j'avais envie d'en savoir plus, de comprendre ce qui fait avancer cette organisation que sont les stern ritters, les connaitre, en apprendre sur leur culture. Cela fait bien longtemps que je n'avais pas été éveillé de telle passion. Une flamme qui s'était éveillée en ce château gelé qu'était mon cœur. Maintenant il fallait que je sois convaincu, je n'étais pas entièrement prit par l'idée de quitter l'armée invisible du seireitei. J'y ai encore quelqu'un à protéger.

Humble sanctuaire ainsi pénétré, notre hôte ne tarda pas à faire son apparition, nous accueillant d'une hospitalité presque oxymorique au zéphyr qui habitait les lieux. Il s'agissait d'une brise rappelant les terribles vents stellaires de l'Infini, comme si la Nuit elle-même traversait le voile protecteur du Nihon à cet endroit précis pour nous baigner d'un semblant de présence de notre chère Mère.

En tête de file, je retournais les salutations solennelles de l'Enfant-Nuit à présent frère nocturne avant de présenter nos deux nouveaux compagnons. Enfin, c'est ce qui ce serait passé si ceux-ci ne prirent pas les devants et le firent d'eux-mêmes. Ce n'était pas une initiative mal venue, loin de là, mais l'introduction de l'ancien Samurai Masqué spécifiquement me laissa un arrière-goût peu appréciable au plein milieu de la gorge, sensation que je ne pouvais tolérer. D'un calme olympien, je posai cependant mon regard sur notre hôte dans en premier temps.

– Je pense parler au nom de tous en vous remerciant pour cette invitation et cette hospitalité cher ami. Je suis impressionné par ce qu'est devenu cet endroit, vos talents d'architecte sont vraisemblablement de par à votre maîtrise du sabre. Pour ma part comme vous pouvez sans doute le voir et le sentir, j'ai pu expérimenter un peu la manipulation du Reishi sous les yeux de Mère, mais je suis loin d'être aussi habile que vous.

Je pris alors place autour de la table avant de fixer Shikai d'un regard sévère et réprimandeur, loin de l'admiration que je lui portais autrefois. De mentor il était devenu un égal que j'estimais toujours autant, toutefois, le respect que je lui portais ne pouvait m'empêcher de tolérer ce genre d'écart dans des situations telles que la nôtre.  

– Shikai... Je t'ai fait assez confiance pour te faire part de cette réunion et t'y convier en me portant garant de ta présence. Je ne vais pas te demander de ne pas me le faire regretter, il est trop tard pour cela. Cependant, comprends-bien que ce genre d'arrogance te mènera à ta perte, car les forces contre lesquelles nous faisons face dépassent tout ce que tu as pu rencontrer jusqu'alors. Maintenant, ne nous ridiculisons pas plus que ça devant nos frères et écoutons ce que Mort a à nous proposer le temps que la maîtresse nous rejoigne.

La tête baissée en direction de l'ancien Fukutaicho de l'Étoile, je n'avais que d'autres choix d'endosser la responsabilité de la maladresse de mon frère d'armes.

– Veuillez m'excusez pour ce dérangement Mort, il n'en a peut-être pas l'air avec ce genre d'introduction, mais il est digne de confiance, croyez-moi.

L’océan dans lequel je me noyais était froid et immense, j’étais seul, sans source de chaleur, je sentais avec les années que ma source d’oxygène s’amoindrissait et qu’un jour, je partirais avec elle. Mais je ne me rendais pas compte, qu’au final j’étais peut être plus près de la surface que je ne le croyais, voir et entendre parler Mort, une offre de celui qui se voyait désormais comme un enfant nuit, à notre groupe qui en était si proche, me faisait vibrer d’une certaine manière. On pouvait lire sur mon visage que je buvais ses paroles et attendait ce qu’il allait nous proposer.

Il nous proposa avant cela de prendre place et de se reposer un peu. Pourtant après tout ce chemin, je n’avais qu’encore moins envie de me reposer, je n’avais envie que d’entendre la suite. Enfin par politesse je viendrai à m'asseoir en dernier. Il vient ensuite se tourner vers moi, me demandant comment j’apprivoisais ma nouvelle arme. Je pris la parole, d’un ton calme et chaleureux. J’étais pour la première fois depuis longtemps, relâché.

- Et bien je commence à bien saisir son fonctionnement et dans quel type de situation l’utiliser de manière optimale. Je crois que je me rapproche aussi de ce que pourrait être un enfant nuit. La voix dans ma tête que je considérait auparavant comme une présence inconnue, se révèle enfin à moi. Je pense pouvoir être digne de la prière. Mais je ne sais pas comment m’y prendre.

Il se tourna après notre échange vers les invités de Seigen, mais un seul mot retint toute mon attention. Sa maîtresse. C’est vrai qu’il nous parlait de rencontrer quelqu’un. Mes yeux s’agrandissent et ma mine se fait impatiente, je ne parle pas, mais il est aisé de comprendre mes intentions, je suis un peu comme un enfant qui va rencontrer son père Noël. Je me demande comment sont et comment vivent les stern-ritters. Pas un mot.

Silencieux lors du discours du fils nocturne, j'écoutais, attentif à ces paroles déjà entendues mais nécessaires pour appuyer la gravité de la situation. La Fin, un mot si simple pour un concept aussi terrifiant. Et pourtant, il s'obstinait...

Shikai, ô Shikai. Toujours aussi impétueux, téméraire... et arrogant. Cet homme, mon frère et mon mentor semblait refuser de voir la vérité en face, aveuglé par un courage absurde et une assurance en ses propres capacités pour combattre à la fois les dragons terrestres et stellaires. Un prétendu héros qui n'arrivait à comprendre le concept de sacrifice, le véritable sacrifice. Celui qui vous force à renoncer aux choses qui vous importent le plus : des êtres chers, votre place en ce monde, votre liberté ; uniquement pour le bien commun, pas celui du Nihon, pas celui de l'Humanité, celui de l'Univers tout entier.

Mon dos tourné à l'étoile la plus lumineuse de la Yonbantai, je gardai le silence, ma tasse de thé venant doucement gracier mes lèvres du breuvage millénaire. Soit, qu'il fasse comme cela lui chante, l'opportunité de mettre fin à l'Apocalypse lui a été servie sur un plateau d'argent et en plus de lui avoir manqué de respect, il lui a tourné le dos aussi vite que possible. Soit en effet mon frère, car aujourd'hui, nos destins se séparent jusqu'à la bataille finale.

Mes pensées, tournées vers l'avenir, durent très vite revenir au présent alors que la tirade de Sano prenait fin. J'avais déjà mes doutes sur la véritable identité de ces mystérieux êtres lorsque nous nous sommes partagés ces informations à huis-clos, sibyllins et terrifiants amalgames de différents mondes. Mort venait tout juste de confirmer mes doutes, les apôtres sont donc aussi proches de nous.

Cependant, ce fut deux autres choses qui attirèrent mon attention, mes yeux quittant alors les ténèbres de mes paupières pour poser leur regard sur l'ancien lieutenant. Un électron libre, un autre. Et plus inquiétant encore, celui-ci avait une ambition inatteignable, un objectif qu'il semblait si sûr d'accomplir que sa folie en devenait presque raisonnable. Se hisser aux rangs des plus grands et mettre une fin à tout ceci par ses propres moyens... si seulement... hm...

Quoiqu'il en était l'heure n'en avait pas encore une priorité,  la mienne en particulier. Car très vite, elle fit son apparition. Annoncée par son héraut, une figure aussi terrifiante que fascinante nous gracia de sa présence,  glaciale autant par sa beauté que par la prestance de son armure, égide du cosmos et veilleuse du Vide.

Derme assujetti de frissons sous le poids incroyable de son regard émeraude, je répétais intérieurement son patronyme aux syllabes sibyllines. Valwenys, Valwenys, Valwenys. Était-ce un nom d'emprunt d'une nihonjin élevée au rang stellaire ou son nom d'origine ? Quelle sorte de mots mystérieux, de sens ésotériques se cachaient derrière l'étymologie d'un nom si différent de ceux de la terre d'Amaterasu ?

« Vollständig. »

Pensées interrompues subitement, c'était comme si j'expérimentais à nouveau le premier baiser de l'Infinité, une pression terrible s'exerçant sur mon enveloppe charnelle revigorée par Ses soins alors qu'une paire d'ailes aux teintes améthystes accompagnait l'incantation nocturne, la splendeur des excroissances étant égale à leur puissance. Si nous étions les enfants de Mère, alors cette demi-déesse crépusculaire était notre sœur aînée.

Sano fut le premier à répondre à son invitation, pris d'un zèle curieux comme s'il était hypnotisé par les charmes de la Stern Ritter et l'appel de Mère. Il était donc prêt à renoncer à son humanité. Quelle curieuse notion était-ce, le sacrifice de tout ce qui constituait votre identité. Néanmoins, la rencontre avec Lhaabi sur la terre désolée qu'était Draha avait bien montré le contraire ou plutôt, une lueur persistante au milieu des ténèbres. Mort pouvait se voiler la face autant qu'il le voulait, mais c'est au milieu des ruines et de la désolation qu'il s'est montré comme un simple humain, un homme impuissant face à son destin tragique, tiraillé entre un être cher et son devoir. Était-il seulement possible d'échapper à notre véritable nature ?

Quittant ainsi mon siège, je me dressai, tant bien que mal, face à la nymphe de la Nuit, mon regard croisant le sien. Nous n'étions en aucun cas égaux, je le savais. Cependant, j'étais, moi-aussi, l'un de ses favoris et en cette qualité, mon genou ne devait toucher le sol qu'en Sa présence. M'inclinant toutefois respectueusement, je m'apprêtais à prononcer les paroles qui scelleront ma place en cette réalité.

– Valwenys-sama, prenant pour témoins nos frères ici présents et Mère elle-même, je vous donne volontiers mon respect, ma fidélité, mon épée et ma loyauté. Toutefois, et sauf votre respect, il n'y a que devant notre très chère Mère que je pourrais tolérer de me prosterner. Je vous prie de ne pas y voir un quelconque acte de défiance à l'égard de votre superbe, mais plutôt, une révérence envers notre Maîtresse.

Regard déterminé plongé dans les mers d'émeraude, main sur mon tsuba et sourire séditieux, je contemplai l'idée proposée par la nymphe, dont les pensées semblaient plus proches des miennes que ce que je croyais. Brasier au milieu du givre de sa... notre fratrie, elle était très différente de l'image du guerrier taciturne et sans volonté propre que j'avais des chevaliers de Mère, une agréable surprise.

– Il est clair qu'actuellement, je suis loin de pouvoir rivaliser avec vo... toi, Aneue. Cependant, je serais ravi de relever ce défi en temps et en heure, et surtout hors d'un endroit dédié à Mère. En attendant, je suis toujours disposé à me prêter à une petite valse belliqueuse en espérant que mes talents actuels puissent réveiller en toi la fièvre du combat, si tel est ton désir.

Je n'avais aucune chance, je le savais. Néanmoins, se confronter à des véritables titans restait, à ce jour le meilleur moyen d'en devenir un d'autant plus que je voulais, depuis mon retour de Nemuro, voir ce que valaient réellement mes nouvelles capacités. Cela attendra sans doute un autre jour cependant, car aujourd'hui, après avoir été baptisé par Mère, je me trouvais accueilli au sein de sa garde la plus proche.

Cet accueil s'accompagnait d'une ribambelle de cadeaux de bienvenue, le plus marquant restant sans doute cette étrange sensation que je ressentis en regardant Valwenys, comme si nous nous connaissions depuis toujours, deux âmes liées par delà la distance et le temps. Ôtez-moi l'ensemble de mes sens, et je pourrai toujours savoir où elle se trouvait comment elle se sentait. D'ailleurs, l'expression de Sano confirmait qu'il ressentait la même sensation. Était-ce un sentiment propre aux Stern Ritters, une simple sensation éphémère ou autre chose ? Je ne saurais réellement le dire.

– Je me dois de malheureusement refuser ces présents pour l'instant. Si comme tu le dis, le zanpakutō n'est pas nécessaire pour pourfendre les malins, j'aimerais tout de même en faire l'expérience par moi-même avant d'écarter cette arme qui fait entièrement partie de mon quotidien, de mon identité. Ma trancheuse d'âmes et moi-même avons encore du chemin à parcourir avant de nous séparer.


Ainsi donc me voilà égide de l'univers, rempart de la Nuit contre l'inévitable Fin, garde nocturne guettant l'arrivée du Grand Froid. Le périple venait à peine de commencer et pourtant, il avait déjà une certaine mélancolie ancrée dans son essence. Les traversées du Dangai me paraissaient si lointaines et pourtant cet environnement hostile à la vie elle-même était devenu mon refuge. L'ironie du sort, comme on le dit si souvent...

– Mort, encore merci de m'avoir permis de participer à ce rassemblement, je m'excuse à nouveau pour le comportement de mon invité. Valwenys, je te suis et te serai à jamais reconnaissant, mon offre tient toujours au passage. Dans le cas contraire, je suivrai l'exemple de Reisender.