Parfois, on a la sensation que le temps s’arrête, que notre existence toute entière est en suspens, et que notre vie ne tiens plus qu’à un seul fil. C’est exactement ce que ressent ce peuple défavorisé, alors que je marchais au milieu de leur rang, armé d’un simple chapeau de paille pour protéger mon visage de la pluie. Je sens les vêtements mouillés contre ma peau, la chaleur ambiante donnant un contraste agréable, mais qui ne peut être qu’un petit réconfort pour l’épreuve que traversent ces gens.

Je m’approche des malades, mon regard froid balayant leur forme, étudiant leurs symptômes de près. Leur état actuel est la conséquence d’une lutte sans merci, dans leur for intérieur. Et ils sont en train de perdre. Invisible aux regards des autres, je dégainais lentement mon zanpakuto pour révéler sa véritable forme. Équipé du Khakkhara, ses tintements dorés sourds aux oreilles des humains, je glissais discrètement l’eau pure et soignante dans les seaux d’eau destinés aux malades. D’une simple goutte, l’eau minérale se voit changée : transformée.

J’espérais simplement aider ces pauvres gens à lutter contre la maladie. Je ne pouvais pas soigner le Mal en eux, mais je pouvais donner de la force à leurs organes endommagés, leur donner le souffle nécessaire pour tenir plus longtemps, et entrevoir l’espoir. Malgré mes pupilles écarlate, et glaciales. Tous ces gens… sont des ebisus. Difficile de passer à côté d’une telle coïncidence, pas après ce qu’il m’est arrivé dernièrement. Je passais ma main sur mon menton, sentant la texture de l’eau fraîche contre ma peau alors que je réfléchissais… Pour qu’une épidémie éclate au sein d’une population, il faut un point de départ.

Mais au-delà de ça, ce qui crée une épidémie c’est la réaction désastreuse du corps d’un peuple face à une maladie… venue d’ailleurs. Les épidémies sont devenues rares sur le Nihon, du fait que le pays était unifié, et que les habitants s’étaient habitués à l’environnement rude des quatre coins de l’archipel… À étudier de près. Je continuais de marcher, jusqu’à croiser le chemin de cette femme dont j’ai entendu parlé, à travers les murmures indiscrets et remplis d’espoir. D’un simple regard je comprenais la raison du gossip, sa beauté faisant l’effet d’un rayon de soleil au milieu de la tempête. Le plus intéressant était sa réponse à mon regard, avant qu’elle ne reparte aider son prochain.

Ses cheveux ainsi que ses yeux, aussi clairs que des pétales de cerisier, dansaient sous son ombrelle alors qu’elle approchait des malades. Tenant mon bâton doré en main, je m’avançais lentement dans sa direction, un tintement significatif s’échappant des anneaux dorés du Khakkhara, jusqu’à ce que je m’arrête proche de cette femme. Le visage neutre, lavé de toute émotion, je lui posais une simple question.



Car à l’heure actuelle, il n’y avait rien de plus important à mes yeux que de s’occuper de cette situation sombre.

Ce n’était pas un hasard si la pétale de sakura a posé ses yeux un moment sur moi. Ses gestes étaient doux, mesurés, sincères, alors qu’avec sa jolie voix elle demandait un moment de répit. Certainement était-ce ma présence qui avait changé le cours de ses actes, mais je devais savoir si elle était réellement capable de soigner ces personnes. S’il était possible de les sauver… Je la suivais comme son ombre, les seuls tintements de mon sceptre doré faisant écho à mes pas étouffés par la pluie.

D’un regard médusé j’observais les alentours, remarquant les mouvements de tête de la jeune femme, comprenant à mon tour qu’il y avait diverses présences autour de nous. Mais ses paroles me ramenaient à la réalité, alors que ses mots résonnaient étrangement avec les épreuves que j’avais traversé jusqu’à maintenant. L’absence d’aura en elle était… gênant, j’aurais pu la soupçonner d’être une chevalière de l’Étoile, mais je ne ressentais pas cette froideur… Ce détachement auquel j’ai pu me confronter. Elle ressemblait à une humaine, mais aucun humain avec si peu d’aura devrait avoir la capacité de me voir. Ni de deviner mon statut de vestige céleste.



Univers à l’agonie, des dieux égoïstes… Voilà des termes bien précis.



Elle a parlé d’un être maudit par la Nuit… Même si les traits de mon visage restent indifférents à cette appellation, je décidais de sortir de la tente et de repérer ceux qui ne masquaient pas leur signature spirituelle, reconnaissant les deux shinigamis, mais pas celui qui flottait dans les airs. Les traits de son visage, sa chevelure blanche et immaculée… Il dégageait un charisme dont j’ai beaucoup trop subis les regards dernièrement.




D’un mouvement de bras, je redressais mes manches mouillées par la pluie avant de retourner à l’intérieur de la tente. J’attendais que les trois autres se présentent devant la demoiselle, me contentant d’un simple hochement de tête pour saluer Sora, et éventuellement Rinka, tout en fixant l’albinos. En retournant mon attention sur la pétale de cerisier, j’ajoutais ultimement :

À ma surprise l’homme en face de moi n’était pas un Stern Ritter, ou plutôt que j’ai surestimé la nature de l’individu. Le visage imperméable, lavé de toute émotion, je tournais légèrement mon regard vers la dénommée Lhaabi.



Mon regard se fait plus intense lorsque le nom de Mort sort d’entre les lèvres de la pétale de cerisier. Il faut croire que partout où je vais, l’ombre de cet homme me suit. Je passe discrètement ma main sur l’une de mes épaules, sentant à travers le tissu la large cicatrice laissée par son tir meurtrier. J’observe la discussion qui en découle, restant de marbre, statue de pierre aux lèvres scellées. Jusqu’à ce qu’elle donne une réponse à Sora.




J’anticipais déjà les questions de Rinka et de Sora à propos du terme Exarchi, appuyant cette intention par un regard soutenu. Lhaabi parlait de prière, un appel à son dieu, allant de pair avec ce qu’elle me disait plus tôt. Est-ce que des prières pouvaient réellement soigner les maux ? Je ne doutais pas de ses paroles, si elle venait réellement d’un autre monde comme je le pensais, alors c’est certainement possible. Les Kidos, utilisés par les nécromanciens, sont eux aussi des formes de prières.

Vint enfin la question assez réfléchie de Lhaabi, une interrogation qui traînait souvent à la clinique de la Panacée, avec des termes différents mais sensiblement équivalents. Quand on joue avec le fil entre la vie et la mort d’une personne, on est souvent hanté par les conséquences d’une erreur de jugement.

Je ne m’attendais pas à ce que Sora montre un si grand intérêt pour le Havre des Esprits, même si dans le fond je n’étais pas si étonné. Puisqu’il fait partie des Parles-Esprits alors certainement a-t-il dû étudier le sujet de l’Enfer, et apprendre que j’avais pu me rendre là-bas pour ensuite en revenir devait être un véritable choc. J’aurais préféré qu’il ne porte pas autant d’intérêt pour un lieu si… déprimant, et morbide.



Sans le voir venir, je sens la main délicate de Lhaabi se poser sur mon visage. Je ressens le contraste entre paume chaleureuse et ma peau froide, ses mots trouvant leur chemin vers mon for intérieur. Elle comprenait le poids de ma perte, bien que je ne m’attendais pas à ce qu’elle soit capable de guérir ce vide en moi. Personne ne pouvait me rendre ce qui était perdu, enterré sous le sable blanc des Enfers. Elle me parle de sa soeur, l’incarnation de la vengeance… Est-ce que je souhaite réellement me venger ? Est-ce là le but de mon errance, de ce nouveau départ ? Je ne sais pas. À vrai dire, j’en savais beaucoup trop peu.

J’entends d’un côté Lhaabi qui me parle d’un moyen de mettre fin aux souffrances, de condamner les damnés pour les guider vers une meilleure existence. Une vie éternelle, où la guerre n’existerait pas, où les dieux ne joueront pas avec le destin, où personne n’aurait besoin d’un médecin… Tandis que de l’autre, j’entends la mise en garde du Cavalier de la Nuit, ancien shinigami et désormais frère de Mort… Je ferme les yeux un instant, sentant toujours le toucher de la prêtresse sur mon bras, alors que les pensées se bousculaient en moi. Je sens que ce moment est important, à l’orée d’un nouveau départ, où des vieux fantômes continuent de me hanter…



Mort...Qu’essayais-tu de fuir réellement, lorsque tu as fait face à l’ombre du Roi Déchu ? Ta voix continue encore de transmettre ton désespoir…



Sans aucun fragment pour nous relier, je sens un immense fossé nous séparer… Impĕrātŏr. Par la faute des desseins du Nihon, j’ai été chassé, traqué puis condamné. Comme toi, j’ai été battu, mis à genoux, vaincu… Notre unique point commun, aujourd’hui.



Tes mots continuent de m’accompagner, Shikai mon frère, mais j’ai été trop faible. Si seulement j’étais comme toi, capable de garder la tête haute au milieu des jeux des Tout-puissants…



Entraîné dans un cycle de violence, tu m’as trouvé à mon plus bas pour m’arracher une moitié, Mormaer. Ta sagesse n’avait d’égale que la cruauté de tes paroles : dures, mais vraies.



Tu m’as légué tes vérités, Daeqirelle, mais le prix à payer était beaucoup trop grand. Je n’ai jamais voulu être un Enfant-Nuit, tout comme personne n’a choisi d’être les héritiers d’un conflit millénaire. Les Stern Ritters perdent le combat, et c’est à nous d’en payer le prix ? Ne me faites pas rire.

En écoutant l’échange entre Lhaabi et Reisender, je comprenais plus ou moins les subtilités qui s’échangeaient. Cette prêtresse était-elle réellement une agente du Vide ?... Cette entité que craignent les Stern Ritters… La dernière pièce du puzzle.



Je restais silencieux, un petit moment… Enfin je pouvais rouvrir les yeux, et fixer la prêtresse. S’il existait réellement un chemin pouvant mener à la paix éternelle, et à la fin de toute cette mascarade dont j’ai été témoin depuis ma renaissance, alors soit.



Un nouveau départ, vers l’inconnu.

Cette sensation… elle m’est familière. Je savais ce qu’elle représentait, et pourtant j’en avais oublié la portée. Jusqu’à ce que Lhaabi se lie à moi, un frisson perturbant me traversant la peau alors que je ressentais à nouveau : la tristesse, la douleur, la reddition… Ces mêmes sentiments que j’ai vécus lorsque j’ai accepté de me séparer d’une part de moi-même, face au Chevalier de l’Etoile. Le destin était bien plus espiègle que je ne le pensais, me faire rencontrer une femme qui soignait son prochain, et qui avait subi une expérience similaire à la mienne…

Pendant que ses murmures faisaient écho dans mes pensées, je continuais de la fixer en silence, mon œil intrigué ne la quittant pas alors qu’elle portait son attention sur Sora. Sa main s’éloignant de moi, j’observais mon bras, frottant discrètement ma main contre ma peau, à la recherche de cette mystérieuse sensation. Comme la brise du vent, je sens encore la marque de son passage, mais il s’estompe au fil des secondes… Contrairement au lien qui nous unit, les sentiments de la prêtresse m’étant totalement transparents.

J’observais en silence les échanges, la mâchoire serrée, alors que plus les minutes passent et plus je sens la patience du fantassin de la Nuit s’étioler. Même s’il portait un doigt accusateur sur Lhaabi, je ressentais le malaise de la prêtresse comme si je prenais les mots pour moi, me faisant serrer le poing. Il ne savait rien, et pourtant il décidait tout de même de se jeter à corps perdu dans un combat qu’il ne comprend pas. La véritable définition d’un fou à lier.

Mais le malaise se transforme en danger imminent, avant que le lien ne se coupe brusquement sous le cri de Lhaabi et qu’en un instant une gerbe de sang ne s’échappe de son torse. Yeux écarquillés, comme piégé dans une peinture, j’observais la scène irréaliste alors qu’un déclic se réalise au fond de moi. Mais l’apparition de Mort était tout aussi choquante, sans parler de l’assaut sans pitié qu’il réalisa à l’encontre de Reisender. Je comprenais rapidement que ce n’était pas réellement Mort, pas celui que j’avais rencontré il y a quelques mois, pas l’homme qui priait la Mère Nuit et qui était prêt à se sacrifier pour sauver les autres. L’homme en face de moi était une machine à tuer.

Serrant fermement mon bâton doré, je voyais quelques secondes mortelles s’écouler, avant que Lhaabi n’implore son “sauveur” d’arrêter, et que le corps malmené de Suenobu Sano ne tombe lourdement au sol. L’incarnation de Mort disparaît sous mes yeux, et la prêtresse tente de sauver malgré ses propres blessures l’homme qui vient de l’agresser… Qui était réellement le monstre, ici ? Je faisais un pas en avant, me tenant près des deux ennemis jurés.



Plantant le bâton dans le sol, le zanpakuto plonge lentement dans la terre avant que mon énergie spirituelle ne se révèle, déployant la véritable puissance de mon âme soeur. Autour de moi une eau claire émergée du sol, baignant ainsi le corps de Reisender et en partie Lhaabi. Ainsi que Sora et Rinka qui n’étaient pas si loin. Au contact, on sentait l’eau se coller à soi, cherchant à soigner les maux qu’elle rencontre… Même si elle n’était pas capable de guérir la stupidité.



D’un mouvement de la main, l’eau qui était stagnante commençait à s’animer, serpentant autour des vêtements ensanglantés de Reisender pour directement plonger dans sa plaie ouverte, entre les doigts sanglants de Lhaabi qui avait commencé à le soigner. D’un regard soutenu, j’observais intensément sa blessure et tentais de manipuler l’eau de sorte à guider la guérison, pour que sa plaie se referme petit à petit sous nos yeux. Je me souviens encore de la fois où j’ai dû sauver de la mort Shikai, où j’ai dû plonger mes doigts directement dans ses ouvertures pour les sceller de mes propres mains. Aujourd’hui, je faisais de même pour cet homme qui ne m’inspirait que la déception.




Un bras d’eau tente de récupérer les membres perdus du fanatique, les rapprochant du corps de Sano. Je n’ai jamais tenté de remettre des membres en place grâce à mon zanpakuto, mais si la blessure est nette et encore fraîche, alors peut-être… Tandis qu’au même moment, mon eau curative trouve son chemin sur la plaie de Lhaabi, se posant sur sa plaie pour la soigner. Elle était tellement dévouée à sauver son ennemi qu’elle n’avait pas cherché à se protéger, ou même à se guérir.




Posant un genou à terre, j’utilisais la majorité de mon eau pour le soigner, les grosses gouttes de sueurs perlant sur mon front alors que mon énergie était consommée à grande vitesse. Mon Bankai n’était pas réellement fait pour les opérations précises de ce genre, ce qui rendait la tâche plus longue et fatigante… mais pas impossible.