Seul dans ses quartiers, le vieil homme consignait paisiblement le résultat de ses recherches sur son carnet. Par moments, il quittait le papier des yeux et se laissait charmer par les ombrages produits par la bougie. Devant ce spectacle ordinaire, le Shinigami esquissa un léger sourire. Voir un tel jeu de lumière et d’ombre lui rappelait divers jeux qu’il pratiquait avec son enfant. Décidément, le temps passait si vite. Shura n’était plus un enfant depuis longtemps… Et pourtant, pour le père absent, ces doux souvenirs semblaient si proches. À cette pensée, une certaine nostalgie s’empara du vieillard. Lucide, il posa alors sa plume pour venir frotter ses yeux cernés.



Comme pour chasser cette émotion envahissante, le médecin s’empressa de finir sa tasse encore chaude. Une fois le thé avalé, il se remit à rédiger le bilan de ses travaux de la semaine. De nouveau concentré et appliqué, il fit glisser l’encre sur les feuilles à une vitesse inouïe. Quand il était aussi déterminé, rien ne pouvait l’arrêter. Son entrain était tel, qu’il ne réalisa pas qu’à plusieurs reprises, il exprimait à haute voix ses pensées.



Pensif, il prit momentanément une posture contemplative. Et si, au lieu de vouloir créer une âme en partant d’un corps artificiel, il tentait l’inverse : modifier un corps existant pour lui faire oublier sa matérialité. Exalté à cette idée, il dégagea de son bureau un nouveau carnet et s’empressa d’y rédiger cette potentielle expérimentation. Avec finesse et précision, il commenta à l’écrit un schéma complet de l’anatomie humaine. Toutes les parties du corps étaient représentées et détaillées. Il se devait d’être le plus proche de la réalité. Surtout que ce document devait revenir à son camarade Tenkei. Après tout, c’était lui le spécialiste en technologie. Le Joukan était persuadé que son acolyte possédait toutes les connaissances nécessaires pour améliorer le corps humain de façon non-létale. Rêver d’un cyborg, seuls ses deux génies oseraient imaginer une chose pareille.



Après tout ce brassage intellectuel, le savant mit sous clefs ses archives personnelles et rejoignit sa cuisine afin de se faire couler, un nouveau thé.

Lentement, une nouvelle nuit tombait sur les quartiers de Kobô. Seul et éclairé par une simple bougie, ce dernier profitait paisiblement des saveurs fleuries de son thé aux écorces de sauge. Son regard, rendu brumeux par la fatigue, flottait sur le bureau à la décoration spartiate. Durant ses quelques minutes, son esprit vieillissant s'absenta. Il crut même, au détour d'une pensée, entendre son zanpakuto l'appeler. Entre songe et réalité, le shinigami ne put choisir. Toutefois, ce sursaut si soudain lui permit de sortir de sa lente léthargie. Profitant de ce renouveau éphémère, le vénérable bouscula une dernière fois son corps endolori. Malgré ses yeux tombants et la lourdeur de ses membres, Hokusai s'attela à sa tâche quotidienne : retranscrire et commenter les expérimentations de la journée.

Comme prévue, cette rédaction ne dura que peu de temps. En effet, la journée n'avait pas été très productive... Entre le dédale administratif qui s'était éternisé, les échecs successifs et explosifs des essais en laboratoire, et l'insomnie de la veille, le centenaire n'en pouvait plus. Tant d'énergie gaspillée pour si peu de résultats... Progressivement, le dépit et les regrets envahirent alors son esprit. Cependant, une nouvelle fois, la voix de sa compagne chassa ses ténèbres.



Par réflexe, le grisonnant se mit à fixer son zanpakuto. Surpris par son initiative, il ne put retenir un léger sourire. Qu'est-ce qu'il pouvait aimer cette voix sucrée et caustique. Il s'agissait d'une véritable caresse de l'âme pour lui.













Rien. Aucune réponse. Elle avait encore disparu. C'était la troisième fois en un mois.

Face à l'astre immaculé, l'ancien méditait. Accompagné de son fidèle thé, il admirait la voûte céleste, le cœur en paix. Ses travaux finis et ses rapports signés, il pouvait enfin profiter de cette parenthèse enchantée. Par moments, ses pensées se montraient fertiles et l'inspiraient pour les jours à venir. Lorsque cela se produisait, un léger sourire naissait sur son visage marqué par le temps. Puis, quand sa contemplation arriva à son terme, il questionna l'ombre derrière lui.



En silence, le jeune homme rejoignit son paternel. En réponse à ce rapprochement physique, le centenaire détourna ses yeux usés et les plongea dans ceux de l'éphèbe. Combien de temps les deux âmes ne s'étaient-elles pas vues ? N'étant pas très démonstratif et privilégiant une certaine distance, Hokusai avait le sentiment d'avoir délaissé sa seule famille. Vieillissant et conscient de ses erreurs, il voulait rattraper ses erreurs passées.





La voix du grisonnant était pleine de regrets, de mélancolie et de tendresse. Une telle sincérité était rare chez le Joukan. D'ailleurs, face à une telle émotivité, le soldat de la Nanabantai ne pouvait s'empêcher de s'inquiéter.





Et alors que le brun allait répondre à cette complainte, il fut pris de court par une petite fille.



Surpris par cette apparition inattendue, les deux hommes restèrent muets quelques secondes. Durant ce court laps de temps le zanpakuto reprit congé, son rôle était fini. Sermonné tel un enfant, le Père absent se mit à rire de bon cœur.