Seul le bruit de l’eau perlant sur les murs de pierres troublait le silence de mort qui régnait dans la pièce, jusqu’à ce qu’un lent souffle s’ajoute à mélodie ambiante. Le monstre était là, assoupi, prêt. Il ne lui manquait qu’une étincelle pour s’élever - et son instinct démoniaque avait pressenti l’arrivée de son maitre.

La réalité se déforma, laissant apparaitre la silhouette d’un homme. L’être foulait un sol qu’il avait presque oublié. Depuis combien de vies n’avait-il pas posé les pieds dans cet endroit ? Cinquante, cent ? Ses yeux prirent un bref instant pour admirer à nouveau la dantesque structure, ce temple païen, forgé par les premiers exilés - acte célébrant un dieu fantasmé de sacrifice et de pardon, curieux mélange qui avait soumis bien des esprits.

Personne ne se rendait dans un antique édifice maudit, pas même les pires forçats. Aussi, son œuvre avait été pendant bien longtemps à l’abri des regards. Paternel, il déposa tendrement sa main sur la cosse vivante, placenta alchimique et organique qui composait l’une des pièce de son œuvre. Tous n’avait pas été d’aussi francs succès. C’est pourquoi il s’était autant entiché de celui-là. Ses dizaines de frères et sœurs, hibernant à ses côtés, n’avaient pas une once de sa superbe. Mais peu importait le nombre d’échec, il avait réussi.

— Tout va s’accélerer. Les dés sont jetés.

— J’aimerais tant voir la réaction de ces vieillards. La panique dans leur regard. Rien que de l’imaginer, je frémis de délice.

Une ombre colossale et brumeuse planait derrière lui, origine de la réponse.

— Encore un peu de patience, ils payeront. Tous.

L’humanoïde prit un peu de recul et tendit les mains :


Son aria terminé, il enchaina :


A l’abri derrière sa protection, il se couvrit le visage d’un bras par réflexe. Une violente énergie balaya la pièce, phare pour les senseurs de tout le Nihon, lumière qui ne dura qu’une seconde. A l’instar d’une étoile mourante, le démon marquait sa nouvelle ascension dans le monde d’un éclat bref mais plus intense que mille soleils.

— Le Concile n’a pas pu rater ça.

— Qu’importe, il est trop tard.

Comblant la distance qui le séparait de sa création, il se reprit à un nouvel instant de tendresse, effleurant le cocon du bout des doigts en se fendant d’un sourire adoucit. L’être grandissait déjà, bientôt, il pourrait tutoyer les cieux.

— Tant de pions doivent encore devenir des dames. Ne nous attardons pas ici.

Le demi-dieu prépara son départ, usant une nouvelle fois de nécromancie.


L’air se déchira, une porte parfaitement stable sur l’univers venait de s’ouvrir, gueule béante qui semblait vouloir dévorer le monde. Après un dernier regard en arrière, l’être disparu. Enfin, les lieux redevinrent silencieux. Seul le souffle demeurait.

Un souffle qui avait une intensité nouvelle. Le souffle d’un titan.