Pendant un instant j’ai cru qu’il allait retirer mon masque, l’effroi d’une telle action me traversant l’échine alors que je me crispais. Mais il n’en fit rien, l’homme au ton si serein posait sa main sur moi, et annonçait qu’il allait me libérer. Et pour la première fois, j’avais l’impression d’être totalement transparent face à cet être défiant toute logique. Alors que je le dévisageais à travers mon masque, à travers mes sens je sentais mon énergie être absorbée, au même titre qu’une partie de ma vision se nuançait avait que la lumière de mon oeil droit ne s’éteigne. Quelle sensation dépaysante lorsqu’on a l’impression d’avoir un oeil fermé, et qu’on essaye d’ouvrir la paupière pour pouvoir regarder, mais que ce soit impossible. Une douce douleur me traversait l’arcade, juste à l’endroit où mon oeil était censé se trouver, mais elle n’était pas insupportable, elle était… Déconcertante. Comme si une partie de moi, plus immatérielle que physique, m’a été arrachée.

Cependant, je sentais venir en moi de nouvelles directives. C’était différent d’un transfert de paroles, c’était comme s’il m’apprenait à mieux utiliser un sortilège, le seul que je maîtrisais réellement. Sans qu’il n’ait à dire quoique ce soit, je comprenais instinctivement où il voulait m’amener, et je me rendais compte du potentiel des papillons infernaux… Mais la collecte ne s’arrêtait pas. Sans crier gare, je sentais de nouveau une partie en moi absorbée, arrachée, tandis que mon souffle se fait soudainement court. Si pour le sortilège aucune instruction était partagée, ce n’était pas le cas des images et des paroles qui envahissaient mon esprit alors que je grinçais des dents, une scission se créant dans ma tête. Il savait parfaitement qui j’étais, et il me montra la réalité la plus dure à accepter, un mélange entre mes craintes et mes espoirs envers mes petits frères.

Je suis possédé par les vérités douloureuses, une réaction en chaîne se produisant en moi alors que je sens les chaînes albâtres des Tout-puissants trembler en mon fort intérieur. Mon coeur bat à toute vitesse, au même rythme que les vibrations de la tour d’ivoire, c’est douloureux mais j’ai besoin de savoir ! Juste pour cette fois, je veux connaître le sort des miens… Puis tout s’arrête. Mon esprit devient aussi blanc qu’une feuille vierge, alors que je tournais lentement mon oeil unique vers Mumei. Les lèvres tremblantes, le souffle me manquant, je l’observais, lui et toutes les images insupportables de sa personne qui avait souffert ces 20 dernières années. Il avait changé… non, c’est faux. C’est moi qui avais oublié, c’est moi qui étais incapable de reconnaître le garçon que j’avais protégé depuis qu’il était né, jusqu’à ce que tout s’écroule autour de nous.

Comment le regarder dans les yeux quand je me sentais si indigne d’être son aîné ? Comment oser l’appeler par son nom lorsque moi-même j’avais honte du mien ? Comment prétendre que tout ce que j’ai fait jusqu’à présent c’était pour le protéger, alors qu’en réalité j’avais échoué ? J’ai l’impression que des vers me dévoraient de l’intérieur, l’envie de m’enfoncer dans le sol et de ne jamais en ressortir me traversant. Et pourtant, malgré ma honte envers moi-même, malgré la tristesse de notre destin si funeste, malgré ma colère envers le monde et celui qui m’avait touché au plus profond de moi pour me transformer…

Malgré tout ça, j’étais si heureux de le voir à côté de moi, en vie.


En silence mes larmes restaient coincées dans les bordures de mon masque, mes sanglots inexistants alors que je serrais fermement les poings, incapable de montrer cette partie de moi si… humaine, normale. Je n’avais pas le droit de montrer mes émotions, donc tant que personne ne remarque ça devait être bon. Le regard rivé sur mes pieds, j’essayais de reprendre mon souffle malgré moi, malgré un de mes poumons sacrifié. Je repense aux souvenirs, une partie de la vérité désormais entre mes mains… Et j’hésitais à adresser la parole à Tengoku. Peut-être parce que j’étais un simple chien du Concile Blanc et que je ne pouvais risquer de griller ma couverture, ou peut-être qu’au fond de moi je ne souhaitais pas lui affliger l’état déplorable dans lequel je suis à présent. Cependant, la situation n’était pas en notre faveur. Alors que Noctifer disparaissait en laissant un avertissement, nous ressentions au plus profond de nos os le froid mordant de l’hiver qui revenait, comme si nous étions sortis de la bulle créée par l’individu. Des rugissements faisaient trembler la terre, tandis que je déployais mes capacités de Senseur pour sentir l’arrivée imminente d’ennemis. Je grimaçais sous mon masque alors que je serrais les dents, dégainant mon sabre.

Noctifer avait raison, une horde approche à toute vitesse ! Je ressens 5 signatures en approche !

Myo !

Le chat de l’officier du Consortium réapparaissait, sautant depuis les hauteurs pour arriver proche de Myo-o Tengen. L’animal qui s’approchait de l’officier changeait soudainement d’apparence, mimant parfaitement celle de l’agent du Consortium avant de se tenir à côté de lui.

Bon, la situation commence à être critique si les ennemis nous attaque en masse… Mais ne paniquez pas ! C’est dans ces moments-là qu’il faut se serrer les coudes, pas vrai ? Voilà comment nous allons procéder : je veux que vous me couvriez tous, écartez le plus possible les yokais pour que je puisse mettre une barrière de protection. Je peux éliminer la horde mais je vais avoir besoin de temps, et de protection… je compte sur vous, soldats !

Les directives de l’officier étaient données, et il commençait les préparatives pour contrecarrer l’arrivée de la horde. Je me tournais donc vers mes deux autres camarades, les observant à tour de rôle avant de leur donner mon avis sur la situation.

Kikyo Riko, Mumei, vous êtes les plus à même à agir en concert pour empêcher nos ennemis de progresser. Voici ce que je vous propose : faites barrages à nos ennemis pendant que moi, grâce à mes compétences de discrétion, je détourne l’attention de certains yokais pour vous mâcher le travail. Pour survivre, il va falloir que chacun d’entre nous remplisse son rôle… Battons-nous !

Sans plus attendre que ça, je déployais mes sens au maximum pour me diriger en direction des énergies spirituelles approchantes. Grâce à mes talents d’infiltrations je me faufilais entre les ombres des arbres, contournant la position de la première vague de démons, j’observais les créatures qui n’avaient le regard que vers une seule direction : notre escouade. Silencieusement je les suivais, mon énergie spirituelle masquée, avant de fondre sur le yokai le plus en arrière du groupe et que je le décapite d’un coup net de mon Asauchi, son sang noir allant peindre l’écorce autour de nous. Les deux démons les plus proches se retournaient dans ma direction, remarquant ma présence alors que je décidais de me replier, m’enfonçant dans une partie des bois pour les attirer dans une autre direction que celle de mes camarades. Je me concentrais à la fois sur mon pas de course, allégeant au maximum mon poids pour ne pas altérer mes mouvements, et aussi sur mes sens pour éviter de tomber nez à nez avec un autre groupe de yokais. J’espérais sincèrement que nous en ressortions tous indemnes...

Résumé :