Lieu : ... à Kyoto, Kansai, ancienne place forte.

Noire était la bulle ; noir était le ciel ; noire était la terre. Et de ce noir, une lumière rouge s’éveilla timidement, telle une luciole enveloppée par un manteau opaque qui, inlassablement, essayait de se défaire de ses menottes. Car la mort avait découronné le Roi. Emporté dans la tombe pendant la Première Marche, maudit par dix fois de la main des hérauts célestes, condamné à ne plus jamais pouvoir renaître, l’Impĕrātŏr était Déchu, et les sillons de son corps meurtri souillait le terreau de sa tombe. Pourtant, qu’est-ce le temps pour une créature immortelle ? Que sont des millénaires d’attente pour un gardien tellurique dont le seul but existentiel est de protéger le Nihon ? Emmuré dans le silence de l’inexistence, l’Empereur attendait patiemment sa résurrection – son heure – et celle-ci n’allait plus tarder à poindre. De tous les signaux de son retour latent, ce fut l'ironique éveil d'un fragment de ce qu'il fut qui provoqua son intérêt. Une simple goutte de sang dans un océan de ténèbres ; une pauvre créature malfaisante à la rage incontrôlable infecte, indigne de Son rang.


La voix traversa les dimensions pour se heurter aux consciences de Ses âmes-liées. Aux quatre coins de l'archipel, il existait des fidèles de l'Empereur, ayant goûté à Sa puissance pour prétendre à l'Ascension. Il ne fallut pas plus de temps pour que ces derniers apparaissent auprès de leur Maître, alertés par une telle résurgence. Même dans leurs rêves les plus fous, ils n'espéraient pas un jour converser avec le Déchu ; et pourtant, en ce jour symbolique, le Roi avait ouvert un unique œil sur le monde des vivants. La statue érigée en Son nom vibrait d'énergie spirituelle. De ses deux yeux, deux sillons de sang noir apparurent, jusqu'à quitter son menton de pierre et perler sur le sol.


La terre elle-même vibra ; de ces tremblements effroyables, une fissure nette apparut sur tout le long de la statue, qui ne manqua pas de saigner davantage. La bulle noire accueillit soudain un soleil rouge, par-delà les nuages de pois ; tous les possesseurs de sang noir sentirent leurs veines brûler.

Personne n’est à l’abri des ombres du passé, quelques némésis acharnés faisant passer en héritage une haine macérée, une vigne vicieuse grimpant de grands murs et se propageant dans chaque interstice tel un parasite envahissant. Il est souvent bien difficile dans un empire aussi vaste, de trouver ceux qui portent les masques et les capes. De trouver ceux qui n’agissent que monnayant un retour sur investissement. De rester pur et loyal à ses doctrines, quand le nerf de la guerre rend fou et quand se voir à la tête est le projet de plusieurs générations déterminées. Qu’est ce que le temps pour une entité qui se dessine alors. Avec l’éternité devant soi, on trouve facilement quoi faire. Occupé à essayer de faire avancer les rouages d’une machine supérieure, même les besoins physiologiques se laissent engloutir. Seulement quand une force supérieure se heurte à votre âme, vous qui avez choisi de faire pacte, obéirez et ploierez du genou.

D’une voix transcendant les fabriques de la réalité, 8 marionnettes se lèvent, prenant leur envol après le réveil d’une figure qui leur est divine. Tel un gardien invisible, il leur donna jadis les clés de la réussite. Laissant aux actions le droit de parole, aucun d’eux, pas même le plus arrogant, n'oserait se pavaner. Telle une simple obole pour le millénaire, celui que les âges ne touche s’éveillait à nouveau. Une raison simple, dispersé il avait toujours su, qu’il reprendrait ce qui lui était dû. Qu’il aurait à éduquer les cabots venant aboyer sous son porche. Et le premier chiot s’était de son côté, éveillé. Un enfant arrogant qui se croyait libéré, ne découvrant qu’après coup, qu’il n’était pas seul à attendre.

Une silhouette presque aussi longue que large s’avance et fait taire la volière, qui après tel spectacle, ne sait où donner de la tête. Un grand coup sourd se fait entendre sur une table qui pourrait déjà penser à prononcer son testament, mais elle tient le coup. Malgré les secousses, le silence est d’or et la parole de l’ancien se fait entendre. Une voix rauque et grave qui d’elle même, pourrait vous donner son histoire, son odyssée.



Le géant reprend sa place à l'autre bout de la table et laisse l’homme casqué se placer en maître de réunion. Sa présence se fait impériale et, bien vite, le calme total est retrouvé à la table. Il prend parole, de sa voix charismatique, il est ce que l’on attend, il sait ce qu’il faut faire et dire.



Les ombres se dispersent. Elles honorent la statue chacune à leur tour, remerciant le père, car son jour approche, un nouveau soleil va bientôt se lever sur l’est et il reste pourtant tant à prendre. Vers ou se dirigent ils donc ?

Ah. Telle était ma simple exclamation lorsque je portais ma main contre mon coeur. Mes pas se stoppaient au milieu de cette nature luxuriante, dominante. Mon sang ne fait qu’un tour, et il me brûle, au même titre que mon coeur qui creuse ma poitrine de ses battements irréguliers. J’ai une impression de déjà vu, comme si mon corps se préparait à travers une expérience passée, une réaction à un appel. Mais c’était différent de la dernière fois, aucun masque ne se présentait à moi, aucun apéritif à se mettre sous la dent… Juste une sensation d’être là, et ailleurs en même temps. J’ai un frisson rien qu’à me laisser bercer par ce sentiment nouveau, trouvant exaltante la perspective de ressentir, tout comme je la trouvais terrifiante. La douleur dans mes veines, j’étais tenté d’entailler la chair pour vérifier sa couleur, même si je connaissais pertinemment la réponse.





L’esprit se tut, retournant dans les méandres d’un monde intérieur divisé. Même si je n’étais pas capable de le voir, je sentais sa présence. Une puissance dormante, un maelström de colère qui se contenait dans un recoin de ma personne. Depuis que j’ai accepté de mettre la main sur un masque d’ivoire, depuis que j’ai entrevu la vérité, j’étais obligé de reconnaître cette part de moi. Bestiale, somnolente, protectrice. Même avec le Savoir, je venais à glisser mes doigts le long du fourreau de Giman-tekina mizu, sa présence me rassurant. Rien qu’en la sentant près de moi j’arrivais à me convaincre que mon passé n’était pas qu’un mythe, un rêve éveillé qui ne représentait pas la réalité. Certes, Soejima Nobunaga n’était peut-être qu’une pierre face à la montagne de mon héritage, cela reste le nom que j’ai choisi de garder.

Obnubilé par cette étrange sensation qui guidait mes pas, je tournais le dos au soleil pour me diriger vers cette ombre qui m’appelle. Ma pensée restait la même tout le long du trajet, avare de questions, mais déterminée à subsister. Parcourir le Nihon sans différencier les alliés et les ennemis était une expérience rude, mais juste. Après tout comment faire confiance à un shinigami sans savoir ce que son âme cache ? Ne suis-je pas le meilleur exemple pour mettre en garde tout le système de l’Armée invisible ? Une exception peut-être, mais je ne crois que rarement aux coïncidences. Si ce n’est pas l’ivoire qui se cache derrière certains, c’est l’ombre de la Nuit qui gagne la raison des soldats. J’ai moi-même été témoin, deux de mes camarades n’hésitant pas à rejoindre un avatar des failles pour soi-disant éliminer le monstre. Au final, est-ce que ça ne revient pas juste à supprimer ce qui nous dérange ? Sur cette suggestion, j’en venais à questionner l’idéologie du Concile Blanc, avec un regard de marbre pendant que je fixais les remparts décrépis d’une forteresse délaissée.

Un grincement de dents traverse ma bouche, mes sourcils froncés alors que je dévisageais la défaite personnifiée. Peu importe l’histoire des hommes avec ce lieu, je ne vois qu’une silhouette détruite, ruinée, et je sens la colère grogner au fond de moi. Cette vue me répugne, sans que j'en saisisse toutes les raisons. Cependant, d’un pas déterminé, mes doutes abandonnés depuis longtemps, j’approchais du théâtre macabre censé incarner mon destin.

L'aura oppressante du Roi Déchu ameuta tous Ses ouailles jusqu'à Lui. Phare luminescent offert à des marins perdus en pleine tempête, chaque moucheron se laissa guider jusqu'aux hauteurs de Kyoto, pour venir s'écraser dans la bulle spirituelle innée que relâchait le cadavre de l’Impĕrātŏr. Une « bulle spirituelle », en effet ; une dimension parallèle, à l'instar du précieux Seireitei du Concile Blanc ; le Cercle d'un Exarchus trop puissant pour mourir. Et tous venaient de la pénétrer.


La terre arrêta de vrombir. Et pour cause, @Soejima Nobunaga se dressait face à la bulle spirituelle, de l'autre côté de la barrière, encore incapable de percer à jour les secrets qu'elle cachait. D'un instant à l'autre, le Fragment allait rencontrer ses pairs, et devoir faire un choix. Jusqu'où sa haine du San'in allait-elle l'emmener ? Y avait-il une réalité où le Lié allait abandonner les siens ?


Même s'il était imperceptible, le lourd regard de la statue sanglante se posa sur chaque participant du conseil. Ce premier et dernier ordre s'était imprimé dans le crâne de chacun d'entre eux. C'était dorénavant leur crédo ; le but existentiel de leur première croisade ; leur raison de vivre.


Car ce qui est déjà mort ne saurait mourir.

Alors que son regard perçait l’âme des apôtres, sa voix se fit à nouveau entendre et figea le mouvement des Ombres. L’emprise qu’il possédait sur le conseil était pharaonique. Sans lui, ils n’auraient jamais pu vivre ainsi. Ils n’auraient pour certains pas survécu aux affres du temps. Leur dévotion avait alors avec le temps atteint une loyauté presque aveugle pour certains. Ce lieu placé en haute estime était caché du reste du monde et placé sous haute surveillance. Ainsi personne ne viendrait aléatoirement face à la demeure du roi. Les réactions aux paroles de l’empereur ne se firent pas attendre. Tous sauf la grue à couronne rouge ployaient du genoux. Ses dents grincent et son regard est une peinture mêlant colère et surprise. C’était le moment où il se rendit compte qu’il n’était plus le favoris. Il n’était désormais plus qu’un outil. Une marche, un pauvre tremplin pour aider ce monstre à revenir à la vie.

Celui qui enviait tout pouvoir en ce territoire Nihonjin le savait, s’il revenait, ce serait… une catastrophe. Il se purgea rapidement de toute pensées contraires à celui qui lui a offert une certaine immortalité. Il se détourna de la statue et partit vers l’extérieur, le bruit de ses bottes pour seule réponse aux chuchotements inquiétés du conseil. Car son comportement princier et arrogant soulevait maintes controverses. Sa voix se fit enfin entendre alors qu’il approchait de la sortie de ce qui était un immense temple, mais aussi l’antre des Ombres.



Sa voix se voulait neutre et grave, maîtrisée, comme le parfait acteur qu’il était, la tromperie, le mensonge, sont des arts qu’il perfectionne depuis des siècles. Il savait que ce jour arriverait, parce que s’il existait des fragments du roi, il viendrait un jour ou ceux-ci seraient collectés par une entité tierce.



La présentation était parfaite pour encrer en Nobunaga le tableau d’un être supérieur l’accueillant dans son palais. Devant lui, en haut d’un escalier de pierre, à une cinquantaine de mètres, se dressait pour ceux qui connaissent la politique nippone, l’un des 8 daimyos du pays. Shinmen Akira, titré guerrier invaincu, l’une des fines lames du Nihon. Nombre de légendes lui sont attribuées, mais n'ont jamais été confirmées. Habillé d’une armure symbolique que les plus grands samurai revêtent, son casque est similaire à celui du Shogun actuel, si ce n’est qu’une branche supplémentaire venait s’ajouter au front. Ses longs cheveux emportés dans le vent, un arc immense que porterait un géant, il avait tout de ce que les titres et légendes racontaient de lui.



Nobunaga, alors que tu entre dans la bulle de protection du temple des “Ombres”, ta vision se teinte de rayures noires et blanches, tes genoux faiblissent, c’est comme lorsque tu t’es déjà entraîné, tout guerrier sous une cascade fléchit la première fois des genoux. Cette fois-ci tu ressens comme ce qui pourrait s’apparenter à une pression abyssale.  Son rire léger se fait entendre comme s’il était en face de toi. Il marche lentement et tend à te rejoindre. Mais tu ne peux que relever la tête alors que ton corps se fait petit à petit écraser. Tu ne ressens de douleur, mais cela était clairement pour te montrer, que malgré votre appartenance qui pourrait être commune. Il n’est pas encore ton allié. Le bruit métalique de ses bottes et de son armure s’approche lentement de toi, descendant chaque marche comme si un avatar immortel, ne voyant pas le temps de la même façon, te faisait passer une épreuve d’endurance.

Ta vision se brouille et se floute, mais avant que tu ne t’effondres inconscient, toute pression disparaît de tes épaules et tu peux enfin le voir correctement, quelques marches au-dessus de toi, bras croisés et regard sondant les recoins les plus sinueux de ton âme. L’Ombre première est venu l'accueillir. L’oiseau majestueux, la grue à couronne rouge, celui qui préside.



Sa voix est grave et lourde, son ton est arrogant et ses paroles blessantes. Il ne te considère pour l’instant pas plus qu’un insecte à écraser, un simple réceptacle à son maître. De son infinie arrogance, son regard ne croise pas le tiens, il te traverse et regarde l’horizon lointain. Il te mettrait presque au défi, en te donnant son nom et prénom, de l’appeler familièrement. Chacune de tes paroles pourrait être la dernière. Ton originel, attends. Gravis donc ces escaliers.

Ma vision s’arrête sur un point, mais mon instinct me pousse à avancer. Le sang brûlant dans mes veines pulse, il me conforte dans mes pensées, dans mon initiative. Dans ma rébellion. Frottant mes doigts l’un contre l’autre, je fais un pas après l’autre, l’anticipation se lisant dans mon regard, alors que j’ai la sensation de plonger dans une bulle de savon. Bouffée d’air frais, je vois mon entourage s’assombrir, les murs ruinés de la forteresse abandonnée disparaissant pour être remplacé par un décor crépusculaire. L’esprit de mon zanpakuto se tut, pendant que je savoure la satisfaction d’avoir enfin fait un vrai premier pas dans ce que je recherchais…

… Jusqu’à ce que ma confiance chute.

Devant moi une série de marches qui défilaient sur plusieurs dizaines de mètres, mais impossible de lever le regard alors qu’une masse se pose sur ma tête et mes épaules. Les pieds vissés au sol, je serre instinctivement les poings, grinçant des dents alors que je tente de tenir bon. Mes genoux commencent à trembler sous mes vêtements, les vibrations remontant à grande vitesse tandis que la pression se veut écrasante sur ma personne. J’entends contre mon oreille la voix de Miko s’étouffait, ne captant que le rire subtil de l’être qui me dominait de son regard, et de sa position. Les gouttes de sueurs perlent sur mon visage, et j’ai les lèvres pincées alors que j’arrivais à peine à sortir quelques mots de ma gorge soudainement sèche.



Impossible de conclure la phrase, seule la sensation de tourbillon dans mon esprit se faisait ressentir, écrasante et tentant de plier ma volonté. Mon corps rejette cette sensation, il se débat tant bien que mal alors que je peine à apercevoir la silhouette descendante de cet homme en armure. Lorsque tout semblait être terminé pour moi, et que mes muscles allaient tout relâcher, la pression se levait. Comme si on retirait la lourde couverture qu’on avait utilisée pour m’étouffer. Une bouffée d’air frais entre dans mes poumons, tandis que je pose un genou à terre, le souffle court. Les gouttes de sueurs glissaient le long de mes traits pour tomber par terre, alors que j’adressais un regard éreinté à cet homme, la grue à couronne rouge, Shinmen Akira. De nouveau maître de mes moyens, j’observe les fluctuations de son énergie, je sens son odeur nacrée de ténèbres, comme moi. Mais nos similitudes s’arrêtent là.



Un simple souffle qui échappait de mes lèvres, masquant mes véritables sentiments. Surprise ? Déception ? Joie ? Peu importe. Je ne pensais pas rencontrer un être tel que lui en ces lieux… Après tout, je suis venu braver l’inconnu, je n’avais pas à être étonné en croisant des personnes aux talents si remarquables. Et meurtriers. Il me demande mon nom, et m’appelle “Réceptacle”, il savait donc qui j’étais et la raison de ma venue… Bien, ça allait accélérer les choses. D’une grande inspiration je forçais sur mes pauvres genoux, me redressant tant bien que mal avant de me tenir droit, levant les yeux pour soutenir le regard de Shinmen Akira, bien que je ne lis que de la désapprobation dans son regard. Dans le mien ? Il n’y avait que de la curiosité, avec une pointe d’intérêt. Probablement.



Léger sourire en coin, mon expression simple masquait les appels au meurtre qui résonnaient au fond de moi, mon instinct bestial me hurlant de ne pas lui faire confiance, de me méfier de ses paroles, de ses gestes. En ces lieux, je n’avais aucun allié… Pas encore, du moins. En observant au-delà de son épaule je vois les extrémités des longs escaliers, et je ressens sa présence… Il n’a jamais été aussi proche, et lui n’a jamais ressenti pareille sensation en plusieurs millénaires.



Je recherchais une éventuelle réaction de sa part, même si en réalité je n’avais pas besoin de réponses pour arriver à certaines conclusions. Quelle fascinante découverte, un humain en chair et en os capable de déployer une telle énergie spirituelle. Il surclasse tout ce que j’ai pu rencontrer jusqu’à aujourd’hui… Et je pense ne pas être au bout de mes surprises. Chaque marche que je gravirai sur cet escalier sera un adieu à mon ancienne vie tranquille. Et je faisais le premier pas face à Shinmen Akira. Je devais monter ces escaliers pour rencontrer mon destin, et le reprendre en main un jour.

Après le coup de pied dans Sa fourmilière, la cour de l'Empereur s'agite. Au sein de cette secte très privée – reliant les huit seigneurs du shogunat pour autant de régions du Nihon – le chef autoproclamé s'avance, et joue sa fidèle partition de coq. Son autorité, inhérente à la puissance qu'il a hérité du cadavre de l’Impĕrātŏr, commence à lui glisser entre les doigts, et il le sait. Pourtant, personne ne peut le détrôner. Pas même le shogun en personne, n'ayant aucune idée de ce qu'il se trame dans les coulisses de son organisation militaire. Personne. Pas même l'Exarchus meurtri à qui l'on a dédié une statue. Personne. Pas même l'anomalie du nom de @Soejima Nobunaga ayant répondu à l'appel du Maître. Du moins, pour l'instant. Le Roi-Déchu a des plans pour lui.


Le ciel éclate en violents orages. En un claquement de doigt, les silhouettes autour de toi disparaissent pour laisser la place à ton Passé, ton Présent, ton Avenir. Gigantesque, Impérieux, tu Le vois, tu Te vois, triomphant sur un biome de sang et de noirceur. De l'autre côté de Ta conscience, une partie de Ton âme subit encore la conversation de Tes homologues liés, garantissant l'illusion. Tu es là, sans être là. À deux endroits en même temps. Dans cette bulle parallèle qu'a érigé Ton cadavre, et dans Ton Monde Intérieur.



Un avertissement ; un constat ; et, au fond de Toi, Tu connais déjà la Vérité. Malgré toutes Tes expériences passées, depuis Ton éveil en tant que shinigami jusqu'à Ton réveil en tant que fragment d'Exarchus, Tu ne peux museler Ton affinité avec cette vision. Il est Toi ; Tu es Lui. Vous êtes Impĕrātŏr.


L'Empereur s'agenouille au près de Toi. De Sa hauteur admirable, Il Te fixe de près, si près, et Vous Vous admirez mutuellement. Êtes-Vous destinés à fusionner de nouveau pour ne faire qu'Un ? Dix Malédictions. Dix Morts. Dix Fragments. Et Lui, alors ? N'est-il qu'un Fragment, ou le Puzzle criblé de trous, pour autant de pièces manquantes ? Tu sens Ton sang pulser à grande vitesse. Jamais Ton corps n'avait connu telle symbiose. Face au constat, face au divin, face à Ton avenir, Tu jubiles.


Un profond dégoût T'anime. De la déception. De la honte. Le souvenir de ce pacte de sang que Tu as été contraint de promettre, et qui depuis ce jour T'empêche de te libérer. Tu es obligé de le servir ; car, sans lui, Tu n'es rien, sinon un détail historique vieux de deux mille ans, enseveli par le Temps.


Le shinigami continue de gravir les escaliers, sous le regard médusé des seigneurs du Nihon. La tension palpable qui unit tous ces acteurs pourrait éclater d'un instant à l'autre, tant l'arrivée de ce nouveau joueur peut complètement spoiler leur ascension rassurante. Tous obéissent aux paroles divines de leur chef, Shinmen Akira. Tous mettent leurs craintes de côté pour attendre son signal.

Un pas après l’autre, je monte les marches de mon destin. Je m’élève physiquement, sous le regard médusé de l’autorité écarlate, tandis qu’en un battement de coeur je sens ma conscience chuter dans les méandres insondables de mon âme. Un appel, une réunion, une révélation. Peu importe le mot, je ne pouvais mettre exactement le doigt sur cette sensation lunaire, le sol se déformant sous mes pieds, l’illusion se resserrant autour de moi. Mais à aucun moment je me sens piégé, contrairement à quelques instants je n’étouffe pas : je respire. Je vis, encore une fois. Et je remarque Sa présence. Lui qui était si silencieux depuis mon arrivée, depuis toutes ces années, enfin je voyais Nos regards se croiser.

Ses paroles avaient la même forme qu’un écho, comme si je m’entendais parler à haute voix… Il m’avertit, me met en garde, m’explique la dure réalité de notre situation : nous sommes isolés du Nihon, coupé du reste du monde. Sourire amer sur mes lèvres, je ne savais pas si je devais me réjouir de ces retrouvailles avec moi-même, ou si je devais maudire ce fardeau que le destin m’a imposé. Dans la réalité je continue de monter les escaliers, le regard neutre, mais au fond j’étais en symbiose avec cette créature qui fait partie de moi. J’aurais pu hurler au monde entier à quel point il était injuste d’hériter d’un tel statut dans ce monde, je ne pouvais me lasser de ce sentiment d’unité, d’avoir l’impression de faire face à ma nature la plus profonde et de l’embrasser. Oh comme il serait magnifique de tendre la main et de saisir ce fragment… Mais je ne devais pas oublier : Je suis seul, entouré de parasites.



Je fixe la déité face à moi, soutenant Son regard qui a transcendé les époques. J’avais soif de savoir, et le vide au centre même de mes souvenirs était insupportable. Soejima Nobunaga ? Impĕrātŏr ? Pour espérer sortir de l’ombre du passé, il fallait que je sache quelle tragédie s'est abattu sur Nous. Pourquoi ai-je échoué ? Et pourquoi ai-je été puni ainsi, à me diviser pour espérer qu’un miracle puisse Nous rassembler ? Tant de questions, tant de réponses possibles… Et pourtant me voilà à faire face à une statue qui pleure des larmes de sang, un sang aussi noir que les ténèbres de l’Oubli. Le même fluide qui coulait dans mes veines, et qui brûler en ce moment même. En silence je l’observe, mais dans mon âme je l’interroge.



J’ouvrais lentement les yeux sur cette figure stoïque, à l’image d’une des nombreuses incarnations qu’on a pu me donner par le passé. Un frisson me parcourait alors que je réalisais, encore une fois, où est-ce que je me situais : au coeur même de ma chute, le symbole de ma déchéance… Mais le point de départ de ma renaissance. Je jette un oeil sur les ombres qui se cachent dans les alentours, sur le monstre avec un visage d’homme qui me toisait dans mon dos, avant de me retourner vers la statue. Oui, lorsque le moment viendra…